Publié le Samedi 20 novembre 2010 à 12h21.

Femmes et retraites

 

Assez rapidement, la mobilisation unitaire pour la défense des retraites a donné une grande visibilité à la question des inégalités femmes-hommes sur ce terrain, et aux mécanismes par lesquels la contre-réforme Sarkozy-Fillon-Woerth est porteuse de nouvelles aggravations. Grâce à l’action des différentes organisations féministes1 et aux argumentaires qu’elles ont diffusés depuis le début dans les mobilisations de toutes sortes, cette dimension apparaît comme concentrant les principaux aspects de l’injustice de la réforme.

En premier lieu, Fillon comme Woerth ont déployé une suren­chère d’inventivité pour répondre par une série de mensonges2 aux arguments concernant les effets de la contre-réforme sur les femmes.

Le plus éhonté a consisté à nier, purement et simplement les inégalités en prétendant que les femmes avaient désormais en moyenne des carrières au moins aussi complètes que les hommes !

Ils ont ensuite dénié tout effet propre du système de retraite existant, comme des précédentes contre-réformes (Balladur en 1993, Fillon en 2003) et bien sûr du projet actuel, dans les inégalités de pensions subies par les femmes. Une grande partie de leur argumentaire a consisté à en renvoyer la seule responsabilité aux inégalités salariales subies par les femmes au cours de leur vie active.

Le reflet amplifié des inégalités dans le travail

Il s’agit là d’un argument plutôt étrange, dont l’utilisation par le gouvernement comme par le patronat peut s’avérer à double tranchant dans la bataille politique qu’ils mènent.

En effet, attirer l’attention sur les inégalités salariales entre les hommes et les femmes, c’est mettre en évidence de façon indéniable le fait qu’en France celles-ci ont cessé de se réduire, et que les salaires des femmes, en moyenne, stagnent depuis plusieurs années à 80 % de ceux des hommes. Les femmes sont sur-représentées dans les emplois à faibles salaires. Les lois sur l’égalité professionnelle votées depuis une quinzaine d’années sous les différents gouvernements n’ont eu quasiment aucun effet, pour la bonne raison qu’elles ne s’accompagnent d’aucune obligation de résultat et donc d’aucune sanction. Le dispositif évoqué aujourd’hui par le gouvernement ne déroge en rien à cette logique : il s’agirait d’imposer une pénalité financière, d’ailleurs très faible, aux entreprises qui ne présenteraient pas un plan d’égalité professionnelle. Donc toujours rien sur les résultats !

Et surtout, comment mieux mettre en évidence ce que la majorité de la population a fort bien compris : que la question des retraites est inséparable de l’ensemble de la condition salariale ?

De ce point de vue, en ce qui concerne la situation des femmes, les retraites ont un effet de loupe par rapport à l’ensemble des inégalités professionnelles. Les contre-réformes précédentes qui ont eu pour effet d’allonger la durée de cotisation de 37,5 annuités à 40 (en 1993 pour le secteur privé, en 2003 pour le secteur public) ont dégradé le niveau des pensions des femmes.

Le temps partiel a joué un rôle central de ce point de vue. Il faut rappeler que son développement en France à partir du début des années 1980 est dû aux exonérations ciblées de cotisations employeurs que les différents gouvernements ont mis en place : aujourd’hui, un tiers des femmes salariées le sont à temps partiel et les femmes représentent 80 % des salariés à temps partiel. L’extension du temps partiel a ainsi accompagné celle de la flexibilité dans le travail. De plus, les emplois à temps partiel sont très souvent des emplois précaires, et presque toujours des emplois à faibles salaires. Le temps partiel est ainsi une des causes principales de la pauvreté laborieuse qui concerne majoritairement les femmes, et plus encore de la pauvreté des retraitées. Les femmes représentent ainsi les trois quarts des bénéficiaires du minimum contributif et de l’Aspas (ex minimum vieillesse).

Plus globalement, et bien évidemment contrairement à ce qu’affirme le gouverne­ment, les femmes sont encore plus nom­breuses que les hommes à ne pas atteindre le nombre de trimestres suffisants, à être en inactivité ou au chômage au moment de liquider leur droit à la retraite, et à devoir attendre 65 ans – 67 ans si la loi est appli­quée –, pour toucher une pension sans décote.

Cette situation est la conséquence directe de la division sexuelle et sociale du travail. Outre le temps partiel, les femmes ont bien plus souvent que les hommes, et contrai­rement aux affirmations du gouvernement, des carrières incomplètes, des périodes d’interruption liées en particulier au fait que les soins aux enfants, et surtout la responsabilité de l’organisation de ceux-ci, leur incombent encore largement pour la plus grande part. Le passage, pour le calcul de la pension dans le secteur privé, des 10 meilleures années de référence aux 25 meilleures années lors de la contre-réforme Balladur en 1993, les pénalise également davantage car elles ont moins de « bonnes années » au cours de leur carrière.

Les femmes sont plus nombreuses à être touchées par ces différents mécanismes, cela montre aussi tout ce qui, aujourd’hui, menace tous les salariés, hommes ou femmes, qui subissent des périodes de précarité et enchaînent les petits boulots à très bas salaires.

Aujourd’hui, les retraites des femmes en droits propres sont en moyenne inférieures de 48 % à celles des hommes, et avec les dispositifs compensatoires (pension de réversion, dispositifs familiaux), elles le sont encore de 38 %. L’affirmation de Woerth selon laquelle ces dispositifs seraient suffisants pour rétablir une situation d’égalité entre hommes et femmes dans les retraites est donc elle aussi mensongère. Certains ont d’ailleurs déjà été partiellement remis en cause en 2003 et en 2009, au nom de l’argument d’une égalité entre hommes et femmes… qui ressemble beaucoup à une égalisation par le bas !

Par ailleurs, le refus, dans la loi, de prendre en compte la pénibilité des métiers, collec­tivement, pour ne reconnaître, a pos­tériori et au cas par cas, qu’un pourcentage individuel d’incapacité, aboutit à rendre encore plus difficile la reconnaissance de la pénibilité, déjà largement sous-estimée, des métiers majoritairement féminins.

Pour une vraie retraite, pour un vrai plein-emploi

Lutter contre ces injustices et ces inégalités, c’est d’abord bien sûr refuser la totalité de la loi Fillon-Woerth et exiger son abrogation. Aucun aménagement ne peut la rendre acceptable, et l’amendement, à connotation fortement patriarcale, consistant à main­tenir la retraite à 65 ans sans décote pour les mères de trois enfants ayant arrêté de travailler, ne change évidemment pas sa logique. Vont de pair avec ce refus, l’exigence d’abrogation des conséquences des contre-réformes précé­dentes : un taux de rempla­cement de 75 % des pensions par rapport au dernier salaire, le retour aux 37,5 annuités dans le privé comme dans le public, le retour aux dix meilleures années de référence pour le calcul des pensions dans le secteur privé et aux six derniers mois dans le public, la défense des dispositifs familiaux de compensation des inégalités.

Au-delà, la lutte pour une véritable égalité professionnelle et un véritable plein-emploi des femmes passe par la lutte contre la précarité et le temps partiel, avec par exemple pour ce dernier, des cotisations employeurs calculées au taux des emplois à temps plein, et une vraie réduction du temps de travail, sans flexibilité, sans intensification du travail, sans perte de salaire, avec embauches correspondantes.

Un véritable plein-emploi des femmes fait partie des solutions alternatives pour un financement juste des retraites, tant il est vrai que la question de l’emploi et de la répartition capital/travail revenus est au cœur de cette bataille.

Stéphanie Treillet

1. Collectif national pour les droits des femmes (CNDF), Femmes égalité, Osez le féminisme, Commission Genre et mondialisation d’Attac notamment. Les différentes organisations politiques et syndicales parties prenantes de la campagne unitaire ont également publié des argumentaires et des tracts sur le sujet.

Les arguments démontant tous ces mensonges sont exposés en détail dans deux tribunes parues dans la presse : « Retraites un projet non seulement injuste mais insultant pour les femmes » Christiane Marty, l’Humanité du 22 juin 2010 ; « Retraite des femmes : le mensonge comme seul argument », Le Monde, 17septembre 2010, Martine Billard, Danièle Bousquet, Marie-George Buffet, Anny Poursinoff, Christiane Marty, Caroline Mecary.

2. Sur ce sujet cf. « Retraites : la piste oubliée de l’emploi des femmes », Christiane Marty, tribune publiée dans l’Humanité du 23 juin 2010, et le chapitre 9 du livre Retraites : l’heure de vérité, Attac-Fondation Copernic, Syllepse 2010.