À l’heure où ces lignes sont écrites, le personnel des Archives nationales, dans l’unité intersyndicale (CGT-CFDT-CGC-CFTC), occupe depuis 132 jours le site historique parisien des Archives nationales. En effet, le 12 septembre dernier, Sarkozy a annoncé, depuis sa visite à Lascaux, l’installation d’une Maison de l’Histoire de France sur le quadrilatère parisien des Archives nationales. Le point sur quatre mois de lutte dans laquelle nos camarades sont engagés.
La riposte a été immédiate : depuis le 16 septembre dernier, les personnels s’opposent à ce projet car il représenterait un rapt de 17 500 m2 de locaux des Archives nationales, remettant ainsi en cause une institution créée par la Révolution française. Ils occupent depuis, jour et nuit, l’hôtel de Soubise, un des principaux bâtiments. Ils ont été rejoints dans la bataille par la quasi-totalité des historiens qui considèrent que ce projet matérialise les idées nauséabondes et réactionnaires d’identité nationale. Un projet de plus pour concurrencer la famille Le Pen sur ses terres…
Au-delà de la revendication légitime de ne pas laisser dépecer les archives nationales, il s’agit bien d’un combat de civilisation contre l’arbitraire et l’obscurantisme.
Pourquoi Sarkozy s’en prend-il aux archives nationales et à leurs bâtiments ? Le postulat de départ de Sarkozy et des tenants du projet est que le pays souffre d’une crise identitaire à laquelle il faut répondre par des remèdes identitaires. Les français ont perdu leurs « repères chronologiques », le « socle de culture historique bâti sous la iiie République s’est désagrégé ». Il s’agit également de corriger « les excès des lois mémorielles » et de revenir aux mythes fondateurs de l’État-Nation, « la France éternelle » et « l’âme de la France » étant les problématiques centrales. Bref, les grands hommes, les grandes dates, les grandes batailles…
Sarkozy veut son histoire officielle qui exhale une odeur nauséabonde si l’on en juge notamment par les discours du Latran et de Riyad (sur la laïcité et la supériorité du curé sur l’instituteur), le discours de Dakar et « l’entrée tardive des Africains dans l’histoire » ou par sa politique contre l’immigration, les Roms, et de manière générale les « classes dangereuses » comme la bourgeoisie appelait les ouvriers au xixe siècle.
Donc, pour imposer sa version de l’histoire, il a besoin d’étouffer les Archives dont les documents constituent autant de témoignages de la forfaiture nationaliste de l’identité nationale (l’Affaire Dreyfus, l’histoire coloniale sanglante, etc.).
Ainsi, sous couvert d’un vague projet scientifique, sans penseurs mais avec des idéologues, d’un objectif prétendument au service de l’histoire sans historiens, c’est en réalité le démantèlement du réseau des Archives nationales et des Musées nationaux – ainsi que de leur statut de Services à compétence nationale (SCN) – qui est visé, avec à la clé l’abandon de missions entières de service public.
Qui plus est, les personnels et leurs syndicats ne sont pas dupes : derrière les oripeaux idéologiques de ce projet se cache la Révision générale des politiques publiques (RGPP) dont on voit les effets dévastateurs au ministère de la Culture et au-delà : suppressions de postes, précarité galopante, privatisations, attaques statutaires, dégradation des conditions de travail...
Pedro Carrasquedo
Dernière minute, première victoire !
Au moment de boucler ce numéro, nous apprenons que les salariés des Archives nationales on gagné. Ils ont reçu un courrier daté du 27 janvier, du directeur de cabinet du ministre de la Culture qui s’est engagé à garantir le maintien des activités des Archives nationales sur le site. Cela signifie que dans ces conditions, la Maison de l’histoire de France ne pourra pas être installée aux Archives. Le 28 janvier, le personnel a donc arrêté l’occupation de l’Hôtel de Soubise après 134 nuits.