Publié le Mardi 15 mars 2011 à 23h39.

Essai : Malaparte, vies et légendes de Maurizio Serra

«Ses nombreux lecteurs et admirateurs français… font preuve à l’égard de Malaparte d’une indulgence qu’ils accordent à peu d’auteurs étrangers », oubliant volontiers que « leur héros a été fasciste, un pilier de la presse et de la culture du régime, et résolument tel jusqu’à l’arrestation et la relégation à Lipari en 1933-34 » sinon après, recherchant la faveur de Mussolini quasiment jusqu’au bout. C’est l’une des raisons qui ont conduit Maurizio Serra, actuel ambassadeur d’Italie auprès de l’Unesco, à écrire cet ouvrage directement pour le public français, dans une langue qu’il maîtrise fort bien (à quelques détails près, l’Organizzazione de Vigilanza e Repressione dell’Antifascismo mussolinienne n’étant pas précisément « antifasciste »). Si l’on disposait déjà de l’excellente biographie de Giordano Bruno Guerri (Malaparte, Denoël, 1981), celle-ci a bénéficié de recherches nouvelles et de très nombreux documents inédits, tirés notamment des archives auxquelles a su accéder ce haut fonctionnaire des Affaires étrangères italiennes. Il ne cache pas son admiration pour tout ce qui rapproche son personnage de Malraux, Drieu La Rochelle, Aragon ou Cocteau, mais il ne dissimule rien de ses fanfaronnades narcissiques et de ses mensonges à répétition, qui déconsidèrent aussi ceux qui le prennent comme référence, depuis les spécialistes de « contre-insurrection » (ce « savoir-faire » français récemment offert par une ministre à Ben Ali) récitant Technique du coup d’État (que réédite aussi Grasset), jusqu’à des figures comme Bernard-Henri Lévy, se vantant d’avoir eu Kaputt pour seule lecture quand il séjournait dans la Bosnie en guerre. « Caméléon snob capable de toutes les scélératesses », comme écrivait Gramsci en 1934, Malaparte aura été relativement peu dangereux de son vivant, pour des raisons historiques qu’éclaire très bien Serra. Ce que son œuvre et son influence posthume peuvent avoir de nuisible aujourd’hui, c’est ce que suggère également cette belle biographie. Gilles Bounoure

Éditions Bernard Grasset, 640 pages 23 euros