Publié le Mercredi 4 mai 2011 à 22h23.

Du Canyon aux Etoiles (Mike Davis, Contretemps n°1)

 

L’ivresse des profondeurs

Laissez-moi commencer, de façon apparemment très indirecte, par le Grand Canyon et le paradoxe consistant à essayer de faire face à l’inouï, à ce qui est dépourvu de tout précédent historique ou culturel. Le premier Européen à promener son regard dans les profondeurs de la Grande Gorge du Colorado est le conquistador García López de Cárdenas, en 1540. Il est horrifié par ce qu’il voit et se retire donc au plus vite du South Rim [l’un des points de vue les mieux situés pour voir le Grand Canyon]. Plus de trois siècles passeront avant que le lieutenant Joseph Christmas Ives, du corps des ingénieurs en topographie de l’armée américaine, ne devienne le second visiteur de ces lieux. Comme García López, il évoque un « effroi presque douloureux à vivre ». Malgré le fait qu’un artiste allemand très connu soit de l’expédition, les croquis officiels du canyon sont largement déformés, tant du point de vue de l’échelle que de celui de la perspective.

En d’autres termes, ni le conquistador ni l’ingénieur de l’armée n’ont réussi à trouver un sens dans ce qu’ils ont essayé de voir. L’horreur primitive et l’effroi les ont écrasés. Au sens propre du terme, ils se sont retrouvés aveugles, parce que ne disposant pas des concepts nécessaires permettant d’organiser une vision cohérente d’un paysage complètement différent. Des descriptions précises du canyon viendront seulement une génération plus tard lorsque celui-ci est devenu l’obsession d’un héros de la guerre civile amputé d’un bras, John Wesley Powell [1834-1902, soldat, géologue et explorateur] et de ses célèbres équipes formées de géologues et d’artistes. Ces hommes étaient là comme des astronautes victoriens sur une autre planète, le plateau du Colorado. Il a fallu des années de recherche sur le site pour parvenir à construire un cadre conceptuel pour saisir ce paysage.

Le résultat de ce travail, The Tertiary History of the Grand Canyon, publié en 1882, est illustré par des croquis magistraux qui, comme l’a démontré l’historien Wallace Stegner, « sont plus parlants que n’importe quelle photo », parce qu’ils reproduisent des détails de la stratigraphie qui sont habituellement obscurcis sur les images de caméra. Quand nous visitons l’un de ces fameux points de vue aujourd’hui, la plupart d’entre nous oublions combien nos yeux ont été entraînés à voir la structure du canyon à travers ces images devenues des icônes ou combien nous avons été influencés par l’idée, popularisée par Powell, du canyon en tant que musée géologique se révélant à nous sous la forme d’un cake aux très nombreuses couches de strates sédimentées.

Mais pourquoi donc suis-je en train de parler de géologie ? Parce que, comme les premiers explorateurs du Grand Canyon, nous sommes en train de regarder le fond d’un abîme de bouleversement économique et social sans précédent, qui trouble nos perceptions antérieures du risque historique. Notre vertige est intensifié par notre ignorance de la profondeur de la crise et de jusqu’où nous risquons de chuter.

Il me faut avouer qu’en tant que socialiste militant, je me retrouve tout à coup dans la position du témoin de Jéhovah qui ouvre sa fenêtre pour regarder les étoiles en train de tomber du ciel. Bien que j’aie prêché la théorie des crises chez Marx pendant des décennies, je n’ai jamais pensé que je vivrais assez longtemps pour voir le capitalisme financier se suicider ou pour entendre le Fonds monétaire international (FMI) mettre en garde contre l’imminent « effondrement systémique ». Ainsi, ma première réaction lors de l’abominable plongeon de 777,7 points du Dow Jones à Wall Street en octobre dernier, fut une joie un peu ringarde, très années soixante. « T’avais raison, Karl », ai-je crié. « Bouffez-les vos produits dérivés, puis crevez, salopards de Wall Street ! ». Comme le Grand Canyon, la chute des banques peut constituer un spectacle terrifiant, mais sublime.

Les véritables coupables ne sont toutefois pas conduits à la guillotine ; ils sont en train de flotter gentiment en direction de la terre, confortablement installés dans leurs parachutes dorés. Nous autres pouvons bien rester dans un avion sans pilote en train de cramer, tant que le méprisable Richard Fuld [PDG de Lehman Brothers ayant reçu des salaires et bonus vertigineux], accusé d’utiliser Lehman Brothers pour piller des fonds de pension et les fonds de retraite, peut, lui, tranquillement continuer à naviguer sur son yacht. La gauche américaine n’a pas de temps à perdre. Face à une nouvelle dépression qui promet un monde de souffrance inouïe aux êtres humains, de Wasilla 1 à Tombouctou [Mali], comment reconstruisons-nous notre compréhension de ce qu’est l’économie globalisée ? Et jusqu’à quel point pouvons-nous nous tourner vers Barack Obama ou vers tout autre démocrate pour nous aider à analyser la crise et pouvoir ensuite agir effectivement pour la résoudre ?

Aux Etats-Unis, pendant la campagne présidentielle, aucun des candidats n’a eu les tripes ou l’information nécessaire pour répondre aux questions simples posées par une auditoire inquiet. Que va-t-il se passer pour nos emplois ? Quelle ampleur la crise va-t-elle prendre ? Quelles mesures urgentes devraient-elles être prises ? Obama et McCain sont restés collés comme des mouches à leurs discours obsolètes. La seule surprise venant de McCain a été une nouveauté dans le registre de la tromperie : un plan de sauvetage hypothécaire qui profiterait aux banques et aux investisseurs sans nécessairement sauver les propriétaires qui risquent la saisie de leur maison. Obama a, quant à lui, récité son programme en quatre points, infiniment préférable en principe que l’option préférentielle de McCain pour les riches, mais ce programme est resté abstrait et manquait de précision. Il relevait davantage de la promesse rhétorique que du plan directeur d’un véritable dispositif de réformes. Ce n’est qu’en passant qu’il faisait référence à la prochaine phase de la crise qui surviendrait avec l’effondrement de l’économie réelle et l’apparition d’un chômage de masse à un niveau probablement inconnu depuis soixante-dix ans.

Avec une courtoisie déconcertante à l’égard de l’administration Bush, Obama n’a réussi à mettre en lumière aucun autre maillon faible du système économique : le dangereux écroulement de la masse des CDS 2 provoqué par la chute de Lehman Brothers ; le trou noir gigantesque laissé par la dette de l’ensemble des cartes de crédit qui risque de menacer la solvabilité de la banque JP Morgan Chase et de la Bank of America ; l’implacable déclin de General Motors et de l’industrie automobile américaine ; les fondations des finances publiques en train de se fissurer ; le massacre des actions du secteur des hautes technologies à Silicon Valley ; et, fait des plus inattendus, les soudaines fissures apparaissant dans la solidité financière d’une compagnie telle que General Electric [un des conglomérats les plus importants des Etats-Unis].

De plus, dans leur soutien au plan de 700 milliards de dollars du secrétaire au Trésor Henry Paulson [qui a connu déjà trois versions depuis lors], aussi bien Obama que son partenaire à la vice-présidence, Joe Biden, évitent toute discussion sur les inévitables conséquences que produira le cataclysme de restructurations et de mesures de sauvetage accordées par le gouvernement Bush. Ce n’est pas le « socialisme» qui en ressortira, mais l’ultra-capitalisme, qui parviendra, selon toute vraisemblance, à concentrer le contrôle du crédit dans les mains de quelques monstres bancaires, eux-mêmes contrôlés, en large partie, par des fonds souverains, tout en étant subventionnés pour plusieurs générations par la dette publique et l’austérité budgétaire.

En soutenant Obama, un nombre sans précédent d’Américains ordinaires a fait un choix conscient en faveur d’une solidarité économique au-delà des divisions raciales. Pourtant les slogans de campagne d’Obama s’adressent à peine aux priorités existentielles de ses plus fervents partisans : les femmes célibataires coincées dans des jobs de service mal payés, des employés d’hôpitaux et d’hôtels qui se trouvent face à des réductions d’emplois, des étudiants qui se débattent avec des frais de scolarité en hausse, des enseignants qui ne sont plus en mesure de payer leur prêt hypothécaire et des familles urbaines qui ne peuvent pas faire face aux factures de chauffage en hiver.

Obama, un nouveau Roosevelt ?

Un ami proche, exaspéré par mon pessimisme chronique, m’a réprimandé l’autre jour en ces termes : « Ne sois pas si injuste. Franklin D. Roosevelt n’avait pas non plus un programme tout ficelé en 1933. D’ailleurs personne n’en avait ». D’après cet ami, ce dont Franklin D. Roosevelt était pourvu en ces années de files d’attente pour le pain et de faillites de banques, c’était d’une énorme empathie avec les couches populaires et une volonté de faire l’expérience d’une intervention étatique en dépit de l’hostilité sans faille des classes aisées. Selon ce point de vue, Obama serait une sorte de clone de notre 32e président, relooké à la façon MoveOn.org 3, à savoir un homme calme, fort, profondément en phase avec les besoins des gens ordinaires et désireux d’accepter les conseils des meilleurs et plus brillants esprits dont le pays dispose.

Mais même si nous accordons à l’ancien sénateur de l’Illinois une force de caractère véritablement rooseveltienne ou, ce qui est encore mieux, lincolnienne, cette analogie porteuse de beaucoup d’espoir se trouve prise en défaut sur au moins trois points essentiels.

Premièrement, nous ne pouvons considérer la Grande Dépression comme analogue à la crise actuelle, ni voir dans le New Deal un modèle de solution. Il est certain qu’il y a pas mal de « déjà vu » dans les tentatives effrénées d’enrayer la panique et de rassurer le public en lui faisant croire que le pire est passé. Une grande partie des déclarations de Henry Paulson auraient pu, en effet, avoir été directement empruntées à Andrew Mellon, secrétaire au Trésor du président Herbert Hoover [et grand banquier], et il est vrai que les deux campagnes présidentielles se calquent clairement sur la rhétorique héroïque du début du New Deal.

Néanmoins, comme la presse économique l’a martelé pendant des années, nous ne vivons plus dans la « vieille économie », mais dans une sorte de nouveau machin entièrement farfelu, construit à partir de segments livrés à la sous-traitance et branché sur les marchés mondiaux dans tous les domaines, du dollar aux faillites, en passant par le désastre des marchés à terme. Nous sommes en train d’assister aux conséquences d’une restructuration perverse, commencée sous la présidence de Ronald Reagan, qui a permuté la part respective de l’industrie manufacturière dans le PIB (21 % en 1980, 12 % en 2005) et celle des services financiers (15 % en 1980, 21 % en 2005). En 1930, les usines ont été gravement affectées mais la machinerie était encore intacte ; elle n’avait pas encore été bradée à la Chine.

D’un autre côté, nous ne devrions pas faire des remarques désobligeantes sur les miracles de la technologie de marché contemporaine. Le capitalisme de casino a prouvé son courage en transmettant le virus mortel de Wall Street à chaque centre financier de la planète, et cela à une vitesse sans précédent. Ce qui a pris trois ans au début des années 1930 n’a pris cette fois que trois semaines. C’est cela la mondialisation intégrale de la crise. Que Dieu nous vienne en aide si, comme cela semble être le cas, le chômage explose à la même vitesse.

Deuxièmement, Obama n’héritera pas de l’avantage décisif de Roosevelt : à savoir des instruments nouveaux d’intervention de l’Etat et de gestion de la demande (appelée plus tard le « keynésianisme ») imposée par un soulèvement des ouvriers industriels au sein des usines les plus productives du monde. Si vous avez regardé n’importe laquelle des tristes parades des gourous de l’économie à la télévision américaine, alors vous savez qu’à Washington les rayons où l’on peut trouver des intellectuels sont maintenant presque vides. Partie prenante du consensus néolibéral sur le commerce et la privatisation, aucun parti d’importance ne propose autre chose que quelques énigmatiques fragments provenant de traditions politiques différentes. En effet, si on laisse de côté les pseudo-populistes, on ne sait pas bien si quelqu’un à Washington, même parmi les conseillers économiques d’Obama, parvient à penser clairement au-delà du kit de pensée que leur a procuré Goldman-Sachs, celui qui a endoctriné deux des plus éminents secrétaires au Trésor de la dernière décennie.

Mais Keynes, que l’on semble pleurer soudainement, est en réalité bien mort. Rappelons qu’à l’époque, le New Deal n’avait pas surgi spontanément de la bonne volonté ou de l’imagination de la Maison Blanche. Tout au contraire, le contrat social pour le deuxième New Deal d’après 1935 était une réponse complexe et adaptée au plus grand mouvement de la classe ouvrière de toute l’histoire américaine, à une période où de puissantes forces en dehors des deux partis 4 continuaient d’occuper le champ politique et où le marxisme exerçait encore une extraordinaire influence sur la vie intellectuelle américaine. Or, même avec le plus grand optimisme ou la meilleure volonté du monde, il est difficile aujourd’hui d’imaginer le mouvement ouvrier américain se remettre de sa défaite comme il a pu le faire, de façon spectaculaire, entre 1934 et 1937. La différence principale est davantage structurelle qu’idéologique. Le mouvement syndical actuel est bien plus progressiste que l’AFL 5 décrépite, nationaliste et raciste de 1930. Le pouvoir du monde du travail est simplement plus dispersé et difficile à mobiliser dans une économie dominée par Wal Mart qu’à l’époque des gigantesques concentrations industrielles et urbaines et des quartiers ouvriers traditionnels.

La constellation de la guerre

Il y a encore un troisième problème de l’analogie avec le New Deal et c’est sans doute le plus important : le keynésianisme militaire ne représente plus une thérapie miracle envisageable. En 1933, quand F. D. Roosevelt est arrivé au pouvoir, les Etats-Unis se retiraient entièrement de leurs engagements militaires à l’étranger, et le retour de quelques centaines de marines d’Haïti [1915-1934] ou du Nicaragua [1927-1933] ne provoquait que peu de controverse. Il a fallu deux années de guerre mondiale, la défaite de la France et le quasi-collapsus de l’Angleterre pour gagner finalement une majorité du Congrès en faveur du réarmement. Mais lorsque, en 1940, l’économie de guerre a finalement commencé à produire, elle est devenue une immense machine pour la réembauche des travailleurs et travailleuses américains, une véritable thérapie pour le marché du travail déprimé depuis les années 1930. Par la suite, la puissance mondiale américaine, liée au plein emploi, allait gagner la loyauté de plusieurs générations de votants de la classe ouvrière.

Aujourd’hui, la situation est bien sûr radicalement différente. Les rallonges accordées au budget du Pentagone ne créent plus automatiquement des centaines de milliers d’emplois industriels stables, depuis que des parts significatives de la production d’armes sont maintenant, dans les faits, sous-traitées et que le lien idéologique entre taux élevé d’emploi et intervention étatique (des « bons boulots » et la gloire sur des rives étrangères) est structurellement plus faible que jamais depuis le début des années 1940. Même dans la nouvelle armée professionnelle (une sorte de caste héréditaire formée de Blancs pauvres, de Noirs et de Latinos), la démoralisation est en train d’atteindre le stade du mécontentement actif et d’ouvrir de nouveaux espaces à des idées alternatives. Bien que les deux candidats aient endossé des programmes incluant l’expansion de la capacité de frappe de l’armée de terre et de la flotte, du dispositif des missiles (« guerre des étoiles ») et en même temps l’escalade militaire en Afghanistan – ce qui va aboutir à relancer le complexe militaro-industriel – rien de cela ne peut donner des emplois décents, ou réamorcer la pompe d’une relance économique. Cependant, dans un tel effondrement, ce qu’un immense budget militaire peut faire, c’est d’enterrer les réformes modestes, mais essentielles, qu’ont laissé espérer les projets d’Obama pour la santé, les énergies alternatives et l’éducation. En d’autres termes, les armes et le beurre de Roosevelt sont devenus une contradiction dans les termes, ce qui signifie que la stratégie d’Obama est en train de conduire à une collision catastrophique entre ses priorités en matière de « sécurité nationale » et ses objectifs de politique intérieure.

Mais pourquoi ces gens ne voient-ils pas le Grand Canyon ? Peut-être qu’ils le voient, et dans ce cas, on peut vraiment penser que la tromperie est le lait maternel des politiques états-uniennes. Ou peut-être qu’Obama est devenu le prisonnier réticent, à la fois intellectuellement et politiquement, d’un libéralisme culturellement permissif dont la rhétorique de type New Deal masque un esprit politique digne de Richard Nixon.

Il faut se demander par exemple en quoi ses priorités en matière de politique étrangère sont différentes de l’héritage radioactif de la doctrine Bush. Oui, il veut fermer Guantanamo, engager des pourparlers avec les Iraniens et gagner les cœurs des Européens. Mais il a également promis la poursuite de la « guerre contre le terrorisme », à la manière dont Bush père et Clinton ont maintenu le noyau dur des politiques de Reagan, même si c’était de façon « plus humaine ». Au cas où quelqu’un aurait manqué quelque chose des débats aux Etats-Unis, il convient de rappeler que le candidat démocrate s’est enfermé lui-même dans une stratégie globale pour laquelle la « victoire » au Moyen-Orient (et en Asie Centrale) reste la prémisse numéro une de la politique étrangère. Voilà qui est comparable la folie d’un Dick Cheney ou d’un Paul Wolfowitz [secrétaire à la Défense de 2001 à 2005] sur la construction d’une Nation à l’irakienne, mais on relooke ce discours délirant avec des termes tels que la « confiance réaliste » en une « stabilisation » globale.

C’est vrai, l’ampleur de la crise économique risque d’obliger le président Obama à trahir certaines promesses marquantes du candidat Obama afin de soutenir un système idiot de « bouclier antimissile » ou de défendre l’idée provocatrice d’une adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine à l’OTAN. Néanmoins, comme le nouveau Président le répète avec insistance dans presque tous ses discours, la mise en échec des Talibans et d’Al-Qaida, en même temps qu’une défense résolue d’Israël, constituent la priorité de son agenda sur la sécurité nationale. Soumis à une forte pression des républicains et des démocrates les plus droitiers, qui s’efforcent d’amputer le budget et de réduire l’augmentation exponentielle de la dette nationale, quels choix le président Obama pourrait-il être forcé de faire dès le début de son mandat ?

Il est plus que probable que le projet de système de santé complet sera rogné au maximum, que les « énergies alternatives » seront vidées de toute portée et que tout ce qui pourra bien rester dans les caisses, une fois menée l’entreprise de pillage de Wall Street, servira à acheter des bombes pour pulvériser plus de villages pachtounes afin de produire encore plus de générations de moudjahidin aigris.

Suis-je injustement cynique ? Peut-être, mais j’ai vécu les années de la présidence de Lyndon B. Johnson (1963-1969) et assisté à son programme de « guerre contre la pauvreté », le premier vrai programme de type New Deal qui a été réduit à néant pour mener un génocide au Vietnam. L’ironie est amère, mais je pense qu’il est historiquement prévisible que des millions d’électeurs qui ont soutenu le candidat pour sa promesse de terminer la guerre ont hypothéqué leur vote, bien malgré eux, dans une escalade militaire plus décidée que celle, sans espoir, d’un McCain, en Afghanistan et à la frontière tribale pakistanaise. Dans le meilleur des cas, les démocrates vont échanger une guerre brutale, perdue, pour une autre. Je crains que nous n’assistions non pas à la résurrection de l’espoir, mais à un réveil douloureux.

Le grand défi pour les forces réduites de la gauche est d’anticiper cette désillusion de masse et de comprendre que notre tâche n’est pas de « faire bouger Obama à gauche » mais de sauver et de réorganiser les espérances trahies. Le programme de transition doit être le socialisme en tant que tel.

Mike Davis, 25 novembre 2008. Pour s'abonner à la revue Contre temps :http://www.contretemps.eu/node/56

Traduction et notes : A l’encontre et Stathis Kouvélakis

Notes

1 Capitale de l’Alaska, Etat dont Sarah Palin, candidate à la vice-présidence de John McCain, est le gouverneur.

2 Contrat entre deux parties : l’acheteur d’obligations paie une prime au vendeur et, en contrepartie, il est censé recevoir une protection en cas de défaut ; ce qui s’avère impossible aujourd’hui.

3 Site de campagne de Barack Obama.

4 Notamment les syndicats, dont le CIO (Congress of Industrial Organisations), créé en 1935, dans le sillage des grandes luttes ouvrières des années 1930.

5 American Federation of Labor (AFL) : principale confédération syndicale avant la création du CIO, avec lequel elle fusionna en 1955.