Un millier de militantEs se sont rassemblés à Fumel (47) la semaine passée pour rendre hommage à notre camarade Ignace Garay, décédé vendredi 11 juillet dans un accident de la route. Mercredi, depuis l’usine ex-Sadefa jusqu’au centre culturel pour une longue série de témoignages et le lendemain au funérarium de Lafox pour un dernier rendez-vous. Lors de l’hommage, les militantEs de la région se sont succédé, relayés par Philippe Poutou et Olivier Besancenot, pour évoquer quelques-uns de ses combats. Infatigable syndicaliste dans la fonderie de Fumel, de la lutte quotidienne à celle contre la fermeture de l’usine, jusqu’à la création de la Scop en passant par le combat contre l’amiante. Au côté des salariés en lutte de toute une région, sur une route de laquelle il allait, le jour de l’accident, d’un rendez-vous avec ceux d’UPSA à un autre avec ceux des parquets Marty. Soutien constant de la cause basque des deux côtés de la frontière. Et de toutes les luttes. Un ouvrier capable de décortiquer un plan comptable, d’expliquer Marx mais tout aussi féru de littérature. Un internationaliste de souche et un pilier du club de rugby autogéré. Toutes et tous se sont engagés à continuer son combat. Nous publions ici l’émouvant témoignage de son copain Jean-Jacques. Tous les autres témoignages et bien d’autres documents sont disponibles sur le site du NPA.J’ai rencontré Ignace à la fin des années 1950. Il habitait avec ses parents dans un immeuble de la rue Lafayette à Agen, à proximité de la clinique Esquirol. Le dernier étage était occupé par le siège du PCF, le rez-de-chaussée par La Bonbonnière, un établissement que les bien-pensants appelaient une maison de plaisir – nous, on appelait ça un bordel. Donc, le jeune Ignace a débuté sa vie avec Staline sur sa tête et Madame Claude à ses pieds. Cet environnement pour le moins disparate allait, à mon sens, être déterminant pour le sens de sa vie. La suite nous le prouvera. Nos rencontres successives jusqu’à l’âge adulte se résumèrent aux nombreuses fêtes de quartier dont Agen, à cette époque, était copieusement pourvue. La rencontre déterminante se déroula en 1975 à l’occasion d’une grève des établissements Housty à Sainte-Livrade. Le syndicat CGT de l’Équipement, dont j’étais le secrétaire, avait apporté son soutien au Comité de grève créé dans l’entreprise, au grand effroi de l’UD-CGT de l’époque ainsi que du PCF. Conséquence de cette hérésie, j’ai donc reçu à mon domicile la visite d’Ignace accompagné d’Henri Thoueille et de Pétacle. Ils étaient membres de la CGT et membres de la LCR. Personnellement, je militais à cette époque dans un cercle libertaire animé par Roger Petit. La rencontre fut à la dimension du coup de foudre amoureux : complices, nous n’allions plus nous quitter. Ignace correspondait totalement à l’idée que je me faisais du militantisme. Un mélange qui, à la lutte des classes, intégrait à la fois l’hédonisme, Épicure et Rabelais. Ignace détestait l’austérité, l’austérité économique mais aussi, et surtout, l’austérité du comportement. Cela me convenait absolument. Je n’oublierais jamais, vivant à cette époque une grave crise existentielle, comment Ignace, Marifé et Jacques Giraldou se sont comportés avec moi. Ils étaient mes cadets et ils ont été mes grands frères.Ni poussé ni sollicité, j’ai adhéré à la LCR en 1984. Je n’ai pas oublié la lettre, calligraphiée à l’encre mauve, qu’Ignace m’a adressée à cette occasion. Maintenant, et pour la facilité de l’écriture, je vais paraphraser Georges Perec.Je me souviens de l’authentique et énorme culture d’Ignace, tant politique que littéraire, cinématographique, musicale, artistique. Héritage de la tradition trotskyste et libertaire qui, au-delà de la formation politique, amenait à la culture générale. Je me souviens qu’Ignace connaissait son Marx par cœur, mais ne négligeait pas Blondin, Audiard, Céline ou Michel Simounet.Je me souviens d’avoir amené Ignace et Marifé, jeunes mariés, dans un périple en Galice.Je me souviens d’une soupe délicieuse dégustée chez l’oncle de Marifé. Je me souviens de l’injonction de Marifé à Ignace : « Enlève ton short, mets un pantalon, sois digne devant ma famille ! »Je me souviens de nos errances dans les bars de Bilbao.Je me souviens du regard étonné de Marifé lorsque nous évoquions, après un bon repas, les personnages du quartier de La Capelette… Je me souviens que nous évoquions, dans les mêmes circonstances, la rue Rabelais, aujourd’hui disparue…Je me souviens de nuits à faire revivre les défuntes fêtes de quartier…Je me souviens que nous avions recensé les trois terrains de quilles de 9 : un à La Capelette deux au Passage. Je me souviens qu’avec Ignace, on ne parlait pas de sexe, non, on parlait simplement de cul. On se racontait des histoires à faire pâlir Caroline Fourest et Clémentine Autain, et ça, ça nous faisait encore plus rire.Je me souviens qu’on parlait de bouffe. Ignace aimait le Guernica de Picasso, mais sa vision préférée était un frigo bien rempli (de victuailles). Comme Montalban, il considérait que le meilleur plat du monde était des œufs frits au chorizo. Mais notre plat préféré, c’était… les curés. On adorait bouffer du curé, avec du franc-maçon en entrée si possible ! Je me souviens qu’à un certain moment de la soirée, Ignace adorait raconter ses frasques, elles furent innombrables et il m’est impossible de les dénombrer…Je me souviens que, souvent, nous évoquions le rugby, celui des vrais, des durs, pas des tatoués... Je me souviens qu’Ignace nous racontait par le détail ses grandes confrontations avec l’équipe de Brive lorsqu’il jouait avec Fumel…Je me souviens qu’après une réunion LCR impasse Guéménée à la Bastille, nous avions fait un duel à la poire Williams et étions rentrés à Agen dans le Ford rouge qu’heureusement Antoine conduisait. Je me souviens qu’Ignace aimait danser le rock, allant parfois jusqu’à nous faire des entrechats inspirés de Noureev.Je me souviens qu’à la main, il pouvait passer une serpillière sur le sol sans plier les genoux. Je me souviens qu’il pensait qu’un moteur Diesel possédait un carburateur.Je me souviens qu’avec une mauvaise foi désarmante, il affirmait que les poussifs camions espagnols Pegaso étaient les meilleurs du monde…Je me souviens avoir bu avec Ignace un verre, plusieurs verres au Bar des Deux Mondes sur les traces d’Hemingway. Je me souviens d’avoir bu, un Premier Mai à La Havane, deux bouteilles de rhum avec deux employés des postes cubains et Ignace.Je me souviens d’avoir partagé avec Ignace des soirées somptueuses chez Michel et Michèle à Puymirol. Je me souviens d’Ignace écroulé de rire, repêchant Calanque dans la mare de la Pastoure.Je me souviens d’une semaine de folie au Cap Ferret avec Ignace, Marifé, les enfants, les copains, des tonnes d’huîtres et d’Entre-deux-Mers. Je me souviens, au Cap Ferret encore, avoir, en compagnie d’Ignace et Marifé, méticuleusement trié un grand sac poubelle pour récupérer une minuscule boulette de shit…Je me souviens d’Ignace tel un lutteur basque portant un énorme panier de victuailles sur l’épaule, traversant la passerelle d’Agen afin d’aller faire un pique-nique au bord de Garonne. Je me souviens qu’Ignace avait une légère surcharge pondérale et que, régulièrement, il me brisait des chaises.Je me souviens de la pression chaleureuse de sa main sur mon épaule lorsqu’arrivant chez moi il me disait : « Ça va, vieux ? » Je me souviens de la vision d’Ignace, effondré de douleur devant la gare d’Agen après, qu’en compagnie de Claude et Gisèle, nous lui avions annoncé le décès prématuré de son fils Igor.Je me souviens d’Ignace apposant avec moi un drapeau rouge sur le cercueil de mon père. La classe ouvrière vient de perdre un de ses plus acharnés défenseurs. Moi, je viens de perdre un frère. Désormais, ma vie, nos vies seront différentes. Celle que j’ai vécue avec Ignace ne sera pas marquée d’une pierre blanche mais d’un énorme menhir rouge. Ignace, Marifé, Hegoa, Iker, Féli, Yon, Anna, Laura,Je vous aime. On vous aime.Jean-Jacques Tournié
Crédit Photo
DR