Vent de révolte et d’espoir dans un climat nauséabond
Preuve, une nouvelle fois, que rien n’est moins prévisible qu’une révolte, le mouvement qui a éclaté dans les lycéens parisiens le jeudi 17 octobre est venu rompre avec plusieurs mois d’un climat politique nauséabond, entretenu par l’UMP et le FN, mais aussi par un Parti socialiste ne sachant plus que faire pour détourner la colère sociale vers de commodes bouc-émissaires. La brutale expulsion de deux jeunes sans-papiers scolarisés, Khatchik et Léonarda, a ainsi constitué pour beaucoup une scandaleuse goutte d’eau dans un vase déjà trop plein. Elève de 19 ans dans un lycée professionnel du 18e arrondissement de Paris, Khatchik avait été arrêté le 19 septembre, jour de son anniversaire, envoyé au centre de rétention de Vincennes avant d’être expulsé le 12 octobre vers l’Arménie, son pays d’origine. Or il y risque trois à cinq ans de prison pour insoumission et a été incarcéré dès son arrivée sur le sol arménien : menacé en raison du militantisme politique de son père, Khatchik avait en effet refusé de se faire recenser et pris la décision de se réfugier en France. La seconde, 15 ans, a été arrêtée au cours d’une sortie scolaire le 9 octobre, puis expulsée le jour même vers le Kosovo avec sa mère et ses cinq frères et sœurs. Quelques jours après, faisant face à des critiques dans son propre camp et même à droite, Hollande a poussé l’abjection jusqu’à annoncer que Léonarda pourrait revenir en France mais seule, la condamnant à « choisir » entre une scolarité en France et sa famille. Le gouvernement pensait sans doute qu’ayant tout fait pour déplacer le curseur politique vers la droite, concurrençant les forces réactionnaires par la voix (et les actes !) de Manuel Valls, une ou deux expulsions de plus ne susciteraient aucune réaction à la hauteur de l’ignominie. C’était sans compter sur les lycéens parisiens qui, contestant l’inacceptable, ont entrepris une lutte résolue pour obtenir le retour de Khatchik et Léonarda. Les Verts et Christiane Taubira ont-ils décidé aussitôt de quitter le gouvernement, cessant de cautionner une politique qui combine racisme d’Etat et soumission aux diktats patronaux ? Il n’en est rien, tant certains ont un besoin impérieux de maintenir leur alliance avec le PS pour conserver élus et postes. De même, c’est dans ce contexte que le PCF parisien a décidé de renouveler son alliance avec le PS aux prochaines élections municipales, troquant un soutien implicite au gouvernement contre quelques strapontins dans les institutions. On ne saurait évidemment dire ce qu’il adviendra de ce mouvement lycéen : à peine éclos, les vacances de la Toussaint viennent en freiner l’élan, sans néanmoins diminuer l’enthousiasme suscité parmi tou-te-s ceux et celles qui demeurent attaché-e-s aux idéaux de justice et d’égalité. Mais il pourrait signifier et amplifier une volonté d’en découdre avec ce gouvernement, s’appuyant notamment sur les (timides) promesses électorales de Hollande pour contester l’ensemble des orientations mises en œuvre par son gouvernement. Comme l’indiquait un rapport confidentiel de préfets daté du 27 septembre1, le mécontentement est à son comble dans le pays, sans pour l’instant trouver les moyens de s’exprimer dans la rue. Et si le gouvernement affiche avec ostentation son caractère inflexible devant les revendications anti-austérité, antiracistes, écologistes, etc., c’est sans doute moins là le signe de sa force, que par crainte de voir les sourdes colères converger et se muer en une révolte ouverte. Si l’intervention autonome des travailleurs/ses est évidemment décisive dans la perspective d’une rupture avec le capitalisme, l’étincelle pourrait ainsi survenir loin du cœur de la classe ouvrière organisée. Comme le démontre à l’envi l’histoire sociale et politique, en France comme ailleurs, les mouvements de la jeunesse, mais aussi des chômeurs et précaires, des victimes du racisme, des mal-logés, des sans-papiers, etc., sont susceptibles d’ouvrir des brèches politiques et d’étendre brutalement le domaine du possible. Dans ce cadre, être présents partout où éclatent des luttes est impératif mais ne saurait suffire. Encore faut-il y défendre une politique qui articule des objectifs immédiats, indispensables jalons sur le chemin tortueux de l’émancipation, à l’horizon d’une société libérée de toutes les formes d’exploitation et oppression. C’est à ce prix que pourrait émerger une alternative enracinée dans les luttes présentes mais indissociable de la perspective d’un changement radical de société.
Ugo Palheta