Lors de la prochaine université d’été du NPA, notre camarade Michael Löwy animera un atelier autour de la rencontre entre Léon Trotsky et André Breton en 1938. Nous lui avons demandé de rédiger un court texte qui, sans résumer l’atelier, donne une idée de ce que sera sa tonalité et son contenu.
Il y a 80 ans, pendant l’été 1938, l’Aigle et le Lion se sont rencontrés au Mexique, aux pieds des volcans Popocatépetl et Ixtacciualtl. Une rencontre surprenante, entre personnalités apparemment situées aux antipodes : l’un, héritier révolutionnaire des Lumières, l’autre, installé sur la queue de la comète romantique ; l’un, fondateur de l’Armée rouge, l’autre, initiateur de l’aventure surréaliste. Leur relation était assez inégale : Breton vouait une énorme admiration pour le révolutionnaire d’Octobre, tandis que Trotsky, tout en respectant le courage et la lucidité du poète, avait quelques difficultés à comprendre le surréalisme… Sans parler de ses goûts littéraires, qui le portaient plutôt vers les grands classiques réalistes du 19e siècle. Et pourtant, le courant est passé, le Russe et le Français on trouvé un langage commun : l’internationalisme, la révolution. De cette rencontre, du frottement de ces deux pierres volcaniques, est issue une étincelle qui brille encore : le Manifeste pour un art révolutionnaire indépendant. Un document communiste libertaire, antifasciste et allergique au stalinisme, qui proclame la vocation révolutionnaire de l’art et sa nécessaire indépendance par rapports aux États et aux appareils politiques.
Un Manifeste d’une étonnante actualité
L’idée du document est venue de Léon Trotsky, tout de suite acceptée par André Breton. Il fut rédigé a quatre mains, après de longues conversations, discussions, échanges, et sans doute quelques désaccords, et signée d’André Breton et Diego Rivera, le grand peintre muraliste mexicain, à l’époque fervent partisan de Trotsky (ils vont se brouiller peu après). Ce petit mensonge inoffensif était dû à la conviction du vieux bolchevik qu’un manifeste sur l’art devrait être signé uniquement par des artistes. Le texte avait une forte tonalité libertaire, notamment dans la formule, proposée par Trotsky, proclamant que, dans une société révolutionnaire, le régime des artistes devrait être « anarchiste », c’est-à-dire fondé sur la liberté illimitée. Le Manifeste garde, 80 années plus tard, une étonnante actualité, mais il n’en souffre pas moins de certaines limites, dues à la conjoncture historique de sa rédaction. Par exemple, les auteurs dénoncent, avec beaucoup d’acuité, les entraves à la liberté des artistes, imposées par les États, notamment (mais pas seulement) totalitaires. Mais, curieusement, il manque une discussion, et une critique, des entraves qui résultent du marché capitaliste et du -fétichisme de la marchandise…
Fédération internationale pour l’art révolutionnaire indépendant
Le Manifeste se concluait par un appel à créer un mouvement large, incluant tous ceux et toutes celles qui se reconnaissaient dans l’esprit général du document. Ainsi fut fondée la FIARI, Fédération internationale pour l’art révolutionnaire indépendant, qui a réussi à rassembler non seulement les partisans de Trotsky et les amis de Breton, mais aussi des anarchistes et des écrivains ou artistes indépendants. La Fédération avait une publication, la revue Clé, dont le rédacteur était Maurice Nadeau, à l’époque jeune militant trotskiste avec beaucoup d’intérêt pour le surréalisme (il sera l’auteur, en 1946, de la première Histoire du Surréalisme). Le gérant était Léo Malet et le « Comité national » était composé de : Yves Allégret, André Breton, Michel Collinet, Jean Giono, Maurice Heine, Pierre Mabille, Marcel Martinet, André Masson, Henry Poulaille, Gérard Rosenthal, Maurice Wullens. Parmi les autres participants on trouvait : Gaston Bachelard, Georges Henein, Michel Leiris, Roger Martin du Gard, Albert Paraz, Henri Pastoureau, Benjamin Péret, Herbert Read, Diego Rivera, Léon Trotsky… Ces noms donnent une idée de la capacité de la FIARI à associer des personnalités politiques, culturelles et artistiques assez diverses. La revue Clé n’a connu que 2 numéros en deux livraisons du n°1 (janvier 1939) au n°2 (février 1939). La FIARI a été une belle expérience « marxiste libertaire », mais de courte durée : en septembre 1939, le début de la Seconde Guerre mondiale a mis fin, de facto, à la Fédération…
Michael Löwy
Post-scriptum : en 1965, notre ami Michel Lequenne, à l’époque un des dirigeants du Parti communiste internationaliste (PCI), a proposé au Groupe surréaliste une refondation de la FIARI. Il semble que l’idée n’a pas déplu à André Breton, mais elle fut finalement rejetée par une déclaration collective, en date du 19 avril 1966, signée de Philippe Audoin, Vincent Bounoure, André Breton, Gérard Legrand, José Pierre et Jean Schuster – pour le Mouvement surréaliste.