Publié le Vendredi 16 septembre 2016 à 08h41.

Autobiographie : Petit pays

De Gaël Faye Grasset, 2016, 18 euros. 

« Petit pays », c’est le nom, affectif, que Gaël Faye a donné au Burundi, où il est né en 1982 et qu’il a quitté pour la France en 1995...

Rwandais par sa mère, Français par son père, Gaël Faye est retourné vivre il y a un an à Kigali, la capitale du Rwanda. Avec sa compagne, il est engagé dans le Collectif des parties civiles pour le Rwanda. « Il y a encore des anciens bourreaux en liberté en France, protégés par des connivences politiques, des amitiés bien placées qui leur vaut le statut de réfugiés. Et je ne parle là que des "cerveaux", pas des petites mains… », a-t-il confié dans une interview au Point le 1er septembre dernier.

1990, au sommet franco-africain de La Baule, Mitterrand lance la « démocratisation » de l’Afrique dans la foulée de la chute du mur de Berlin. Dans plusieurs pays, un multipartisme est annoncé, des élections organisées, des opposantEs s’affichent à visage découvert. Mais dans les faits, l’État français continue de faire et défaire les régimes dictatoriaux au gré des intérêts des Bouygues, Bolloré ou Elf (Total). Au Burundi et au Rwanda, anciennes colonies belges tombés sous la tutelle française dans les années 1975-1978 comme l’ancien Zaïre (RDC) tout proche, l’État français perpétue le « diviser pour régner » du colonialisme belge, entretient et instrumentalise les rivalités entre Tutsis et Hutus. Au Burundi, un coup d’État militaire renverse le président vainqueur aux élections, débouchant, en 1993, sur une guerre civile. Moins d’un an plus tard, des centaines de milliers de Rwandais, en majorité Tutsis, meurent sous les coups des milices hutues qui avaient été organisées et entraînées par des militaires français.

Sensibilité et révolte

Ces événements sont en toile de fond de son livre. Son autobiographie, il l’a d’abord chantée, en rap, dans un album intitulé Pili pili sur un croissant au beurre dont plusieurs titres, Petit pays, Métis évoquent la tragédie du génocide et la difficile recherche de sa propre identité, à l’intersection de deux origines.

Dans son roman, qu’il a écrit à la première personne, le narrateur-personnage, « Gabriel », vit des événements qu’il n’a pas lui-même vécus, et surtout avec une lucidité qu’il n’avait pas. « J’avais envie d’écrire ce livre pour recréer mes après-midi d’enfance à Bujumbura, les jeux, les odeurs, les arbres ; envie de mettre en scène cette douceur-là, d’expliquer cette enfance presque en prenant la main à quelqu’un qui ne connaît rien du Burundi. Ni des Hutus ni des Tutsis, même si sur ce chapitre, je suis incapable d’expliquer puisque je ne comprends pas moi-même… »

Gaël Faye se défend d’avoir raconté sa propre histoire sauf l’enfance protégée et privilégiée qu’il a eue, ce « cocon » qui a explosé sous l’effet d’une violence et d’une horreur dont il est impossible de rendre compte en littérature. Mais son récit rapporte des faits et des histoires personnelles dont il a été le témoin indirect. Il décrit comment une vie « normale », paisible, peut basculer dans la tragédie, la vie des domestiques de la famille de Gabriel, victimes de la réactivation des haines entre Tutsis et Hutus, puis des personnes de la famille de sa mère, rwandaise, des Tutsis massacrés en avril 1994.

Avec une sensibilité et une révolte qui font la beauté de ce livre, à lire et à faire lire.

Galia Trépère