Éditions Syllepse, 536 pages, 25 euros.
Le livre d’Éric Toussaint constitue une analyse fortement étayée et détaillée de l’histoire de la Banque mondiale et de son action.
« Banque internationale pour la reconstruction et le développement »
L’auteur rappelle le contexte dans lequel ont été créés la Banque mondiale et son « jumeau », le FMI : les États-Unis sont sortis considérablement renforcés de la Seconde Guerre mondiale, politiquement et économiquement, mais leur industrie a besoin de débouchés et les dirigeants étatsuniens veulent éviter que l’économie mondiale ne plonge dans une dépression comme celle des années 1930 (ce qui pourrait ébranler le nouvel ordre mondial que l’impérialisme veut ériger face à l’URSS). Pour cela, il faut fournir aux autres pays les moyens d’acheter des produits US en leur prêtant les fonds nécessaires. Ce sera le rôle, outre de crédits directement consentis par les États-Unis, de la nouvelle Banque internationale pour la reconstruction et le développement (dénomination officielle de la Banque mondiale) créée en décembre 1945. Les droits de vote à la Banque mondiale et au FMI ne sont pas également répartis mais assurent l’hégémonie étatsunienne. Par ailleurs, le président de la Banque est toujours un Américain. À travers plusieurs exemples, Éric Toussaint montre comment les décisions de prêts de la Banque mondiale sont largement déterminées par le gouvernement US qui utilise en fait la Banque pour soutenir ceux qu’ils considèrent comme étant de bons partenaires des USA ou pour punir les « mauvais ».
Le piège de l’endettement
Au départ, l’action de la Banque était essentiellement tournée vers la reconstruction de l’Europe ravagée par la guerre, centre des préoccupations américaines (les États-Unis lançant par ailleurs le plan Marshall). C’est la révolution chinoise en 1949 qui amènera les États-Unis et donc la Banque à se préoccuper des pays « en développement » (PED). Les prêts accordés par la Banque aux PED ont eu pour objectif fondamental le renforcement de leur capacité à exporter matières premières, combustibles et produits tropicaux. Par ailleurs, l’essentiel de l’argent prêté repart vers les pays industrialisés en achat de biens et services.
Le modèle économique que la Banque mondiale promeut auprès des « pays en développement » depuis les années 1960 met l’accent sur la nécessité pour eux de recevoir des capitaux étrangers ce qui correspond à l’objectif essentiel de la Banque et des États-Unis : les confiner à un mode de développement conforme aux normes capitalistes. Et les enferme à la longue dans un « piège de l’endettement » très rentable pour les créanciers.
Le début des années 2000 voit émerger une série de débats attisés par des mouvements populaires dans les pays en développement contre les « plans d’ajustement structurel » et leurs conséquences pour les couches populaires. Il en résulte un ravalement de façade du discours de la Banque. Mais, les principes ultra-libéraux continuent en fait de gouverner sa politique. Plus récemment, tout en prétendant contribuer à la lutte contre le changement climatique, la Banque continue de subventionner des projets de développement d’énergies fossiles.
En conclusion, Éric Toussaint plaide, outre l’abolition des « dettes odieuses », pour une nouvelle architecture internationale, démocratique et favorable à un développement socialement juste et respectueux de la nature, mais cela ne se fera pas sans que des luttes majeures mettent fin à l’ordre économique mondial actuel.