Un film de Joachim Lafosse
Avec Vincent Lindon, Louise Bourgoin et Valérie Donzelli
Sortie le mercredi 20 janvier 2016
L’affaire de L’Arche de Zoe fit beaucoup de bruit en décembre 2007, quand des membres de cette ONG furent arrêtés au Tchad pour avoir tenté de faire embarquer 103 enfants à bord d’un avion qu’ils avaient affrété. Ceux-ci, présentés comme des orphelins du Darfour, devaient être adoptés par des couples français qui avaient déjà versé des sommes de l’ordre de 1500 à 2500 euros pour « retenir » un enfant de moins de cinq ans. En fait, les enfants n’étaient ni orphelins ni originaires du Darfour, mais avaient été obtenus dans des villages pauvres du Tchad par des rabatteurs, avec la promesse aux familles de les placer dans un orphelinat où ils auraient la possibilité d’étudier.
Après diverses péripéties, les principaux animateurs de l’Arche de Zoe furent donc emprisonnés au Tchad puis rapatriés et condamnés en France à des peines de prison, mais rapidement libérés. Les zones d’ombre qui entourent cette affaire ne furent jamais éclaircies. En effet, si ceux qu’on a présentés comme des « pieds nickelés de l’humanitaire » n’étaient que des aventuriers marginaux, comment expliquer qu’ils aient bénéficié de la logistique de l’armée française pour débarquer au Tchad et aient été sponsorisés par une institution comme les Hôpitaux de France et une entreprise comme le laboratoire Paris Biotech, dont le patron était… un frère de Sarkozy ? De plus, le chef de l’opération avait pris contact avec les services de Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères et affirmait avoir reçu des encouragements. Le Darfour était alors une grande cause occidentale à la mode : sauver des orphelins de ce pays aurait pu être une opération médiatique très payante.
Un film qui sonne juste
Joachim Lafosse a choisi de ne traiter que l’opération elle-même, sans évoquer son environnement politique et les conséquences de son échec. Son film n’en est pas moins très fort, dans la mesure où, échappant à tout manichéisme, il met en lumière l’ambiguïté de cette démarche teintée de paternalisme colonialiste. Le personnage du leader charismatique du commando humanitaire, curieux mélange de gourou manipulateur et d’humaniste sincère, est magnifiquement interprété par Vincent Lindon.
Tout sonne juste, les relations entre les membres de l’équipe comme celles entre ces sauveurs d’enfants auto-proclamés et la population africaine. La tension et le malaise suscités par le caractère équivoque de leur absurde équipée ne faiblit pas. Le survol de paysages magnifiques ne fait jamais dériver ce film vers l’exotisme de pacotille. Si l’on peut regretter que les vrais responsables de cette escroquerie n’apparaissent jamais, ce film n’en reste pas moins un réquisitoire impitoyable contre une forme particulièrement hypocrite de néo-colonialisme.
Gérard Delteil