En 1948, quand le président chilien Gabriel Gonzalez Videla (à ne pas confondre avec le dictateur argentin Jorge Rafael Videla) se lança dans une vaste répression anti-communiste, le poète Pablo Neruda faisait déjà figure de monument national quasi intouchable. On peut donc douter que le pouvoir l’ait sérieusement fait rechercher pour le jeter en prison, poursuite qui fournit le scénario de ce film.
Une personnalité de son envergure était sans doute plus dangereuse pour le pouvoir derrière les barreaux qu’en exil. D’autant qu’on voit ici Neruda fréquenter des fêtes et des bordels, ce qui pour un clandestin était la façon la plus sûre de se faire prendre. Même Pinochet, s’il a peut-être fait assassiner Neruda discrètement vingt-cinq ans plus tard, n’a pas osé l’emprisonner. Un Pinochet qui fait ici une très brève apparition, comme commandant d’un camp de concentration dans le désert d’Atacama où il enfermera d’ailleurs à nouveau les militants de gauche après son coup d’État de 1973.
Mais il s’agit ici d’une fiction qui ne se revendique pas de la vérité historique et flirte à la fois avec le polar, le fantastique et même le western avec beaucoup de bonheur. La politique n’a pas été la préoccupation principale de Pablo Larrain. Et ce n’est que très brièvement, au début, qu’il fait allusion à la ligne du PC chilien, lequel avait non seulement soutenu Videla mais participé à son gouvernement. Comme tous les PC d’Amérique latine et celui des États-Unis, le PC chilien avait en effet soutenu la guerre contre l’Allemagne nazie, déclaré par le Chili en 1943, et s’était pour cela allié aux partis qui défendaient cette politique.
Un plaisir original
Neruda lui-même avait d’ailleurs dirigé la campagne de Videla, avant de l’accuser publiquement de « se vendre aux États-Unis » quand celui-ci avait chassé les ministres communistes au moment du déclenchement de la guerre froide. Neruda était en effet bien loin d’être seulement un poète éthéré et viveur, c’était un diplomate professionnel et un stalinien pur et dur, qui avait non seulement écrit des poèmes à la gloire du petit père des peuples, mais aussi apporté son aide au peintre mexicain Siqueiros en fuite après sa tentative manquée d’assassinat de Trotski.
Mais Pablo Lorrain s’est avant tout concentré sur l’opposition entre un minable policier obsédé par Neruda, qui apparaît sous les traits de l’excellent Gael Garcia Bernal (totalement à contre-emploi, alors qu’il avait interprété le Che) et le poète lui-même à qui Luis Gnecco donne une présence incontestable.
Sur ce plan, la réussite est complète et on se demande même parfois si le flic existe vraiment ou s’il n’est qu’un personnage littéraire inventé par le poète, qui rêve d’être l’objet d’une traque gigantesque pour parfaire son image de martyr national...
Même s’il a gommé beaucoup d’aspects du vrai Neruda, on ne peut donc pas reprocher à Larrain d’avoir réalisé une hagiographie. Comme dans son précédent film No consacré à la campagne électorale de 1988 contre le référendum de Pinochet, il manifeste néanmoins une certaine propension à glorifier le rôle des artistes et intellectuels dans la résistance à la dictature, le peuple chilien ne faisant que de la figuration.
Pour autant, ne boudons pas notre plaisir : Neruda est un film somptueux et original, envoûtant même, à condition bien sûr d’entrer dans le jeu.
Gérard Delteil
Neruda, Pablo Larraín Avec Luis Gnecco, Gael García Bernal et Mercedes Morán. Sortie le mercredi 4 janvier 2017