Seuil, 128 pages, 14 euros.
Dans son dernier livre paru le 1er avril, Édouard Louis parle de nouveau, dans un long monologue adressé à sa mère, de son enfance, de sa famille. Il ne s’agit pas seulement de sa vie car, au travers de son histoire, il raconte la société, ses oppressions et ses violences qui toutes détruisent les vies et broient les corps.
Un univers clos
Monique Bellegueule, la mère d’Édouard Louis, avait des rêves. Elle voulait devenir cuisinière, mais la vie en a décidé autrement. Elle est enceinte à dix-huit ans, abandonne sa formation, s’installe avec son mari dans un village au nord de la France. Elle est de nouveau enceinte. Elle a vingt ans, deux enfants, pas de travail. Elle est femme au foyer avec un mari alcoolique et violent. Ils sont pauvres, très pauvres.
Dans un sursaut de vitalité, elle fuit cette vie avec ses deux enfants, elle part se réfugier chez sa soeur. Elle rencontre un nouvel homme, charmant au début, ils ont un enfant, Édouard Louis, puis des jumeaux, mais l’histoire se répète : elle s’occupe de la maison, des enfants, elle fait les courses, les repas, ne sort pas. Il boit, la violente et l’humilie. Il n’y a pas de perspective de bonheur, c’est un univers clos dans lequel ses enfants reproduisent le même schéma, son fils aîné est violent, sa fille est battue.
Une femme, de nombreuses femmes
Tout est misère et tristesse. Tous les choix et envies de cette femme sont contrés par son mari, son désir de se maquiller, son désir de vacances, son choix d’avorter… Tout est domination masculine. Rien ne lui appartient, surtout pas son corps. Elle étouffe. Monique est une femme dans une société patriarcale, machiste et sexiste. Elle est doublement dominée en tant que femme et en tant que pauvre.
Pourquoi ne pas avoir annoncé dès le titre qu’il allait parler de sa mère comme il l’avait fait dans son précédent livre sur son père Qui a tué mon père ? Peut être parce que cette femme dont il parle, sa mère, a le parcours de nombreuses femmes, qui vivent sous domination masculine, que ce soit celle du mari, du frère, du fils, qui sont écrasées par la société capitaliste, ajoutant à la domination de genre, la domination de classe. Comme l’auteur le précise, en citant l’écrivain autrichien Peter Handke, la situation de ces femmes est en plusieurs points semblables à celles des femmes d’il y a près d’un siècle. Elles sont dévouées et finissent par s’oublier, s’éteindre.
Fierté d’un fils
Le regard du fils sur sa mère, comme précédemment sur son père, a changé au fil du temps, au fil de la dureté de la vie. Dans ses premiers romans, la mère était dépeinte sans tendresse, avec sa part de violence. Ici, c’est, au contraire, le respect de la dignité des « victimes » qui ressort clairement. C’est la fierté du fils devant les combats d’une femme qui refuse de se faire enfermer dans une vie qu’elle ne désire pas. Elle réussi à bousculer l’ordre familial grâce aux luttes qu’elle mène, elle parvient ainsi à s’émanciper physiquement et intellectuellement, à sortir du carcan dans lequel elle était depuis toujours. Son parcours, ses combats ressemblent à ceux qu’Édouard Louis a dû mener en tant qu’homosexuel dans un milieu viriliste. Tous les deux se sont métamorphosés. Ce sont d’ailleurs ces métamorphoses qui ont permis à la mère et au fils de se rapprocher.
Combats et métamorphoses d’une femme est un livre féministe et politique.