Film français, 1 h 35, sorti le 23 mars.
Loin de l’illusion des rencontres des mémoires comme le voudrait Emmanuel Macron, le film De nos frères blessés nous replonge, 60 ans plus tard, dans la guerre d’Algérie aux faits incontournables, insoutenables.
Au Clos Salembier, un quartier des hauteurs d’Alger, vit Fernand Iveton, ouvrier tourneur à l’EGA, compagnie de gaz et d’électricité. C’est un militant actif du PCA, le Parti communiste algérien, délégué syndical de la CGT, puis de l’USTA, Union syndicale des travailleurs algériens ; il rejoint les Combattants de la Liberté puis, en juillet 1955, après l’accord du PCA et du FLN, il devient membre du FLN.
Sa détermination se nourrit de l’atrocité de la guerre que subit le peuple algérien. Il mène une vie de famille qu’il aime avec sa femme d’origine polonaise, Hélène Ksiasek, et son fils, dans cette Algérie si attachante, belle et déchirée avec ses troupes en armes qui sillonnent villes et campagnes.
Comment aider le peuple algérien, comment faire savoir ce qui se passe dans le pays ? Lui et les militantEs qui l’entourent, Algériens et Français, ne peuvent que répondre à la violence par la violence.
Fernand Iveton accepte de mener une action à condition qu’elle ne cause pas de mort. Ce sera déposer une bombe sur son lieu de travail, loin du personnel, pour causer une interruption d’électricité. Ce qu’il fait dans un local isolé.
Par précaution, plus tard, il retourne sur place, et se fait surprendre par un vigile. Tout s’enchaîne très vite dans ce monde colonial en guerre.
Justice coloniale
Prison avec les Algériens, violence et tortures, procès face à un tribunal d’exception militaire, les seuls qui existent en ce monde en guerre. Fernand Iveton, lui le communiste engagé depuis toujours, se retrouve tout seul face à la barbarie coloniale. Il est condamné à mort le 24 novembre 1956.
Sans soutien local possible, il est livré à ce monde qu’il voulait dénoncer. Le PCF, aux mieux l’ignore, au pire refuse la participation d’un avocat communiste compétent pour défendre Fernand Iveton qui n’obtient que deux avocats commis d’office, Charles Laïnné et Albert Smadja, face à ce tribunal militaire.
Ces derniers tentent d’obtenir la grâce de René Coty, président de la République, mais le garde des sceaux François Mitterrand s’y oppose comme le président du Conseil Guy Mollet. Les représentants du Parti communiste français et du Parti socialiste vont au bout de leur opposition à la lutte du peuple algérien.
Fernand Iveton est guillotiné le 11 février 1957, en même temps que Mohamed Lakhnèche et Ali Ben Khiar Ouennoun. Ils font partie des 198 guillotinés de la Guerre d’Algérie, parmi lesquels le seul Français est Fernand Iveton.
Un an plus tard, en mars 1958, Jean-Paul Sartre dénonce, dans la revue les Temps Modernes, sous le titre « Nous sommes tous des assassins », la mort de Fernand Iveton par la guillotine… elle qui fut brûlée par la Commune, le 6 mai 1871. Emmanuel Roblès écrit, en 1959, Plaidoyer pour un rebelle. Il faut ensuite attendre 1996 pour que Jean-Luc Einaudi écrive « Pour l’exemple, l’affaire Fernand Iveton : l’enquête ». Et Joseph Andras en 2016, d’où est tiré le film d’Hélier Cisterne en 2022 : De nos frères blessés.
Un film à voir, et à faire voir, pour commencer à comprendre ce que fut la guerre d’Algérie. C’est un film qui rend compte de toutes les dimensions d’un engagement militant aux côtés d’un peuple colonisé. Barbarie coloniale, répression et raisons de lutter ne connaissent pas les frontières.
* Michèle Villanueva est l'auteure de l’Écharde, Chronique d’une mémoire d’Algérie, Maurice Nadeau, 1992.