Historien de renommée internationale, Eric John Ernest Hobsbawm est décédé à l’âge de 95 ans.
Spécialiste du xixe siècle, Eric J. Hobsbawm contribua au développement de la brillante école d’histoire économique qui se mit en place au cours des années 1950 dans le sillon du Parti communiste britannique à l’université de Cambridge. Comme beaucoup de militants du PC britannique, il évolua du stalinisme à l’eurocommunisme, avant de rejoindre le travaillisme après la chute du Mur de Berlin, sans toutefois jamais rompre avec le grand espoir d’émancipation issu de la Révolution d’octobre.
Hobsbawm devint célèbre grâce à son exceptionnel talent pour la synthèse historique. Doté d’un style précis et simple, il sut utiliser à merveille les ressources du marxisme pour analyser l’événement historique dans toutes ses dimensions. Particulièrement remarquée fut son Ère des révolutions (1962), dans laquelle il étudiait les transformations du monde entre 1789 et 1848, en les lisant au prisme d’une « double révolution – industrielle en Angleterre et politique en France.
Il s’attacha à y articuler les différentes facettes du bouleversement révolutionnaire, de la transformation des rapports de production jusqu’à la genèse du scientisme, tout en mettant au jour les contradictions qui devaient aboutir à 1848 et à la mise en place de ce qu’il appela l’Ère du capital. Par contraste avec l’historiographie marxiste française, trop souvent repliée sur un récit événementiel et dogmatique, Eric Hobsbawm sut trouver dans le marxisme des outils critiques ouvrant les horizons de l’interprétation historique. Il contribua ainsi à faire entrer définitivement les concepts marxistes dans la palette des sciences historiques, ce qui l’amenait à constater à juste titre que « le marxisme a tellement transformé le courant dominant de l’histoire qu’il est aujourd’hui souvent impossible de dire si un ouvrage particulier a été écrit par un marxiste ou un non-marxiste ».
De manière paradoxale pour un spécialiste du xixe siècle, Hobsbawm devint mondialement célèbre grâce à l’histoire du xxe siècle qu’il publia en 1994 sous le titre de l’Âge des extrêmes. Hobsbawm y jetait sur son siècle le regard d’un spectateur engagé, dont les analyses empruntaient alors davantage à l’humanisme qu’au marxisme proprement dit. Traduit dans plus de 20 langues, l’Âge des extrêmes fut un succès de librairie d’autant plus retentissant qu’il apparut comme un manifeste contre la vision dominante, alors incarnée par François Furet et Stéphane Courtois, qui s’attachait à archiver les idées communistes sur l’étagère criminelle des totalitarismes. Si les milieux académiques français, alors largement acquis au révisionnisme furétien, ne considérèrent l’Âge des extrêmes que comme le dernier rejet d’une pensée marxiste désormais obsolète, force est de constater que c’est aujourd’hui la vision de Furet et de Courtois qui est considérée comme dépassée. Et ce n’est pas là le moindre des mérites d’Eric J. Hobsbawm.
Laurent Ripart