Publié le Samedi 14 mars 2015 à 17h26.

Essai : De l'atome imaginé à l'atome découvert. Contre le relativisme

Par Hubert Krivine et Annie Grosman, De Boeck, 2015, 19 euros. Acheter sur le site de la librairie La Brèche

« Dans ce bel ouvrage, Hubert Krivine et Annie Grosman nous rappellent quels ont été les arguments, les faits, les calculs, les expériences et les raisonnements qui ont permis aux physiciens de savoir ce qu’ils savent sur l’atome. En ces temps d’agnotologie galopante, leur contribution n’est pas seulement utile : elle est aussi précieuse, et même salvatrice », écrit le physicien Étienne Klein dans sa préface.

Ce livre réussit un double pari, difficile et plein d’obstacles : nous aider à nous approprier la compréhension que la communauté scientifique a aujourd’hui de l’atome, c’est-à-dire de la matière, tout en nous aidant à comprendre ce qu’est la démarche scientifique. Les deux composantes de ce pari sont de fait indissociables. Comprendre l’histoire d’une théorie ne constitue-t-il pas la meilleure façon de se l’approprier en découvrant les questionnements, les expériences, les échecs et limites à travers lesquels elle s’est construite ?« Nous voulons utiliser les travaux menés durant plus de vingt-cinq siècles sur “l’hypothèse atomique” comme méta-laboratoire pour examiner la genèse d’une théorie scientifique », précisent les auteurs. Après nous avoir invité à « un peu de culture physique » sur l’état actuel des connaissances, il nous raconte ainsi cette passionnante histoire depuis le ve siècle avant notre ère en Grèce, les premiers atomistes, Démocrite et Leucippe, jusqu’à la mécanique quantique et la découverte du boson de Higgs, en passant par le nombre d’Avogadro.... Une histoire passionnante mais pleine d’embûches...

De la vérité scientifique...Cet ouvrage a une troisième dimension, militante, philosophique : il se propose de décrire comment se construit la vérité scientifique, en réponse aux conceptions « agnoto­logiques » pour reprendre la formule de Klein, ou ce qu’il appelle « la montée en puissance des idées ultrarelativistes ». Le relativisme considère les connaissances scientifiques comme « des constructions sociales », des interprétations, une représentation d’une réalité qui n’existerait qu’à travers son observateur, « la croyance moderne que ce sont les savants qui, en quelque sorte, “fabriqueraient” ce qu’ils croient découvrir »...Le matérialisme considère, lui, la réalité comme existant indépendamment de l’observateur. La vérité scientifique est le contraire d’une vérité révélée. « Les connaissances scientifiques sont réfutables », elles sont « l’aboutissement d’une longue quête mêlant intimement théories et expériences ». écrivent les auteurs en réponse aux conceptions relativistes développées par Bruno Latour dans La science en question.Loin d’ignorer les relations perverses entre la science ou les scientifiques et le pouvoir, les auteurs soulignent : « Le relativisme que nous critiquons insiste à juste titre sur l’imbrication du pouvoir et de la science. Mais il inverse les rôles : c’est l’effectivité de la science (sa part de vérité) qui procure de la puissance au pouvoir et pas le contraire (la position de pouvoir qui fabriquerait de la vérité). » Et de conclure, « nous avons voulu faire partager au lecteur la beauté de cette construction inachevée et inachevable. » Le chemin n’est pas sans difficulté mais il mérite le détour...

Yvan Lemaitre