La Fabrique, 359 pages, 18 euros.
Coordonné par Andreas Malm, géographe suédois auteur de Comment saboter un pipeline et militant du Socialistisk Politik, parti suédois de la Quatrième Internationale, cet essai propose de « penser ensemble » l’élévation des températures et la montée de l’extrême droite.
« Pour sauver la Terre, nous devons empêcher les grands flux de population »
L’ouvrage analyse tout d’abord la position vis-à-vis de la crise climatique des partis d’extrême droite de 13 pays européens, des USA de Trump et du Brésil de Bolsonaro. On y trouve deux courants. Pour le premier, le réchauffement n’existe pas, c’est une fable inventée pour nous détourner du vrai problème, l’immigration. Jean-Marie Le Pen dénonçait en 2010 un « complot politique » contre « les Blancs, les pays développés, [tenus pour] responsables de la misère du monde ». Pour le second courant, qualifié de nationalisme vert, « le changement climatique est causé par les personnes pauvres vivant dans les pays du Sud et migrant dans les pays du Nord ». Pour Olli Immonen, du Parti des Finlandais : « Pour sauver la Terre, nous devons empêcher les grands flux de population ».
Finalement les deux courants, aux frontières poreuses, ont un point commun, cœur de l’idéologie des partis d’extrême droite : le racisme.
La partie consacrée aux « énergies mythiques de l’extrême droite » est beaucoup moins convaincante. La fascination des partis d’extrême droite pour les énergies fossiles tente d’être expliquée par la psychanalyse et la mythologie. L’extrême droite cultiverait une vénération « pour une certaine catégorie de travailleurs, à savoir les hommes blancs qui extraient des combustibles noirs ». Les auteurEs opposent les énergies fossiles aux énergies renouvelables qui n’auraient pas de frontières : « Aucun pays ni aucune entreprise » ne pourrait s’approprier le soleil. Omettant de préciser que tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne en matière de rayonnement solaire, l’ouvrage évacue rapidement le contre-exemple de l’énergie hydraulique qui ne serait « qu’une petite pièce du puzzle zéro fossile », ce qui est inexact : l’hydraulique représentait 70 % de la production mondiale d’énergie renouvelable en 2019. Par ailleurs, l’absence de toute mention du nucléaire est particulièrement problématique pour une bonne compréhension du rapport au système énergétique des extrêmes droites françaises. L’analyse de leur conception de l’écologie reste trop lacunaire : omission du moment « vert » de Bruno Mégret dans les années 1990 ou désignation un peu abusive du Collectif Nouvelle écologie (lancé par le FN en 2014) comme censé défendre « la famille, la nature et la race ». Difficile d’imaginer ce genre de phrase dans la bouche d’un Philippe Murer, le conseiller souverainiste en environnement, à l’époque, de Marine Le Pen.
« Fascismes écologiques » ?
La suite analyse le lien entre développement des pays impérialistes (en premier lieu l’Angleterre) au 19e siècle, énergies fossiles et mise en place d’une idéologie raciste. La destruction des régions d’où sont tirés le caoutchouc, le pétrole, etc., ne serait acceptable qu’en considérant les gens y habitant comme sous-humains. Vient ensuite une description du lien entre fascisme italien, nazisme et explosion de l’utilisation des combustibles fossiles, avec le développement de la voiture individuelle (la première autoroute a été créée par l’Italie de Mussolini, suivie de près puis dépassée par l’Allemagne nazie) et du transport aérien. Mais on ne voit pas vraiment ce qui distingue les régimes non fascistes des régimes fascistes sur ce point, ce développement ayant eu lieu in fine dans les deux sortes de régimes. En outre, en mettant l’accent sur les fondements technicistes du fascisme et du nazisme, le collectif néglige la critique du monde moderne qui traverse de nombreux courants d’extrême droite.
Dans sa partie la plus intéressante quoiqu’insuffisamment développée, l’ouvrage présente deux scénarii de mise en place d’un régime fasciste en lien avec la crise climatique. Dans une crise d’atténuation, un pays décide de réduire drastiquement l’utilisation des énergies fossiles, ce qui pousse les industries de ce secteur à mettre en place un régime fasciste pour l’empêcher. Dans une crise d’adaptation, les catastrophes causées par le dérèglement climatique induisent des tensions d’où surgissent des régimes autoritaires.
Mais les auteurEs signalent, à la fin du livre, que des fascismes écologiques pourraient également être mis en place (en prenant l’exemple récent du gouvernement autrichien de coalition ÖVP-Verts, sous le slogan « Il est possible de protéger à la fois le climat et les frontières »). Si le fascisme peut s’appuyer sur les énergies fossiles comme sur la lutte contre les énergies fossiles, le lien entre fascisme et énergies fossiles développé tout au long du livre est-il si important ?
En résumé, un livre qui pose de nombreuses questions méritant d’être approfondies et débattues.