De Clifford D. Conner, Points Sciences, 2015 (réédition), 12 euros. Acheter en ligne.
Comme l’explique son auteur, ce livre « se donne pour objectif de montrer comment les gens ordinaires ont contribué de façon fondamentale à l’édification du savoir scientifique ». Il ne s’agit pas bien sûr d’ignorer le rôle joué par les grandes théories scientifiques, mais de montrer comment l’émergence de ces théories n’a été possible que parce que des gens du commun avaient accumulé à travers leur travail quotidien une multitude d’observations, de connaissances pratiques par expérimentations et tâtonnements.
Le livre prend ainsi le contre-pied des traditionnelles histoires des sciences qui, en se réduisant à une série de grands hommes et de leur théorie, déforment la façon dont les connaissances scientifiques se sont construites tout au long de l’histoire. L’action, la pratique ont précédé le plus souvent l’idée, la théorie, même si l’histoire n’a pas gardé la mémoire de tous ces travailleurs anonymes. À travers de multiples exemples, il raconte ces décennies, ces siècles d’accumulation de connaissances et savoirs pratiques, depuis les chasseurs cueilleurs de la préhistoire, en passant par le travail des agriculteurs, des artisans et des commerçants bravant les interdits des églises.
Conner raconte aussi les différentes façons dont s’est faite l’appropriation de ces multiples savoirs populaires par des savants le plus souvent issus des classes dominantes. Si Galilée a décrit l’importance pour lui de l’observation et des discussions qu’il a eues avec les artisans de l’arsenal de Venise, le plus souvent cette appropriation s’est faite par le vol et la violence, comme ces navigateurs portugais prenant en otage des Polynésiens pour qu’ils révèlent leurs connaissances pratiques en navigation et géographie...
Aboutissement de cette appropriation des savoirs populaires par les classes dominantes, Conner montre comment, depuis le 19e siècle, le capital domine les sciences. La recherche scientifique est aujourd’hui inféodée aux intérêts des grands groupes capitalistes et donc à la course au profit. Mettre la science moderne au service de l’ensemble de l’humanité nécessitera bien une révolution !
Bruno Bajou