Publié le Mercredi 3 mai 2023 à 16h28.

Et soudain le chasseur sortit du bois, de Ioulia Iakovleva

Traduction de Mireille Broudeur-Kogan. Éditions Actes Sud, collection Actes noirs, 2023, 496 pages, 24,50 euros.

Le personnage principal du roman a fort à faire pour dénouer une énigme qui, et c’est souvent le cas dans les romans policiers, semble lui échapper de plus en plus au fil des pages...

Toute une histoire...

Le roman se déroule à Leningrad dans un cadre historique très précis : c’est la fin de la NEP, le début de la marche vers la collectivisation forcée, avec son lot de vagues d’épurations. Dans le même temps, à l’ouest, la crise fait rage. Nombre de personnages du roman ont existé, à commencer par Kirov, et l’histoire racontée repose sur des faits réels.

La Russie de 1930 est donc la toile de fond de cette affaire, sur laquelle se meuvent des policiers très ordinaires, manifestement représentatifs de la société russe de l’époque, qui enquêtent dans un milieu social très disparate, évocateur de la composition complexe de la population de la capitale du nord. On y trouve des bourgeois déclassés, qui se font discrets, des artistes et des intellectuels rescapés de l’ancienne classe dominante, qui se rachètent une conduite, des prolétaires en pleine ascension sociale, des paysans en voie d’urbanisation, et des bureaucrates en quête de privilèges. Bref, pas mal de gens qui ont des choses à cacher !

Les appartements communautaires de Leningrad sont au cœur de l’enquête, ainsi que les musées et théâtres, l’occasion d’une réflexion intéressante sur la place de l’art dans l’avènement d’une société nouvelle à laquelle, malgré une certaine désillusion et déjà pas mal de cynisme, il n’est pas encore tout à fait interdit de croire.

Un polar noir...

L’inspecteur Zaïtsev doit résoudre une énigme constituée d’un ensemble de meurtres, dont certains collectifs, qui ont pour point commun la recherche d’une mise en scène qui ne peut que porter un message, raconter une histoire. Il est entouré, pour cela, d’une équipe de police judiciaire que l’on pourrait trouver classique. Mais dans la Russie stalinienne du début des années 1930, tout se dérègle très vite. On ne sait plus qui espionne qui, qui travaille pour la police politique — le sinistre Guépéou — et surtout si le but poursuivi est la manifestation de la vérité, la recherche du coupable, d’un mobile ou bien le zèle mis à faire correspondre les résultats de l’enquête à une vérité édictée par la bureaucratie afin de développer un récit digne de son régime et aussi (surtout) utile à la préservation de ses intérêts individuels et collectifs.

Au point que, à la fin, on aurait presque tendance à ne plus attendre le surgissement du ­chasseur sortant du bois.