Publié le Mardi 2 février 2016 à 08h23.

Ettore Scola, nous l’avons tant aimé

Le cinéaste italien Ettore Scola vient de mourir à 84 ans. Il nous lègue une quarantaine de films dont des chef- d’œuvre inoubliables qui nous permettent de mieux comprendre la société italienne et son histoire.

«Nous voulions changer le monde, et c’est le monde qui nous a changés », fait dire Ettore Scola à Nicola, une personnage de l’un de ses films culte, Nous nous sommes tant aimés. On peut supposer en effet que Scola espérait changer le monde quand il tournait des films documentaires pour le PC italien, sur la fête de l’Unita ou sur les luttes des ouvriers de Fiat. Pourtant son œuvre échappe à tout didactisme, à tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à du réalisme socialiste.

Scénariste à ses débuts, il contribue à la réussite de films d’autres cinéastes engagés, tel Il Sorpasso (Le fanfaron - 1962) de Dino Risi, sublime critique du mâle italien, macho, vantard, amateur de femmes et de belles voitures. à une époque où la tendance était plutôt à vendre les charmes de Gina Lollobrigida ou de Sylva Koscina, on peut dire que Scola fut féministe avant l’heure. Son premier film, Parlons femmes (1966) pointe à nouveau le sexisme de la société italienne. On y retrouve Vittorio Gassman, abonné aux rôles de dragueur imbu de lui-même et de mari volage, qui deviendra l’un de ses comédiens fétiches.

Précurseur

Dans tous les films de Scola, on rencontre d’ailleurs non seulement des machos mais aussi de beaux personnages de femmes, tel celui de Sophia Loren dans Une journée particulière (1977), sans doute son chef-d’œuvre et celui qui en dit le plus long sur l’impact du fascisme sur ce que la société a de plus intime, les relations familiales et sexuelles. Mastroianni y apparaît sous les traits d’un intellectuel homosexuel chassé de la Radio nationale pour son orientation et ses idées antifascistes, qui va rencontrer une mère de famille restée seule au foyer alors que son mari et ses enfants assistent à la grande parade qui accompagne la rencontre entre Mussolini et Hitler.

Sur ce terrain Scola apparaît aussi comme un précurseur car l’homosexuel restait bien souvent un sujet de dérision dans le cinéma italien, y compris hélas dans les films de quelques-uns des plus grands de l’époque. Sans jamais se lancer dans le discours politique, il réussit à nous faire comprendre beaucoup de choses sur le fascisme.

Scola avait déjà frappé un grand coup l’année précédente avec Affreux, sale et méchants (1976) qui décrit la vie dans un bidonville de la banlieue de Rome où les HLM poussent comme des champignons. Sa description quasi clinique des mœurs de ces laissés-pour-compte, y compris dans ce qu’elle a de plus sordide, ne tombe jamais dans le mépris condescendant : on comprend que c’est le système social qu’il faut accuser et non les individus.

Membre du PC italien, Scola participera comme ministre de la Culture à un cabinet fantôme mis en place par la direction du parti en 1989. Mais la grande époque du cinéma italien est terminée, tout comme celle du PC en voie de complète social-démocratisation. Déjà, en 1980, dans la Terrasse, film bavard et beaucoup moins réussi qui met en scène des intellectuels désabusés, Scola exprimait la démoralisation de toute une génération... et sans doute la sienne. Cela ne l’a pas empêché de soutenir différentes causes jusqu’à la fin de ses jours, et en particulier de combattre Berlusconi et ses paillettes. Mais l’espoir de changer la société avait disparu.

Gérard Delteil