Publié le Vendredi 3 septembre 2021 à 18h00.

Hommage à Henri Vernes, un écrivain légendaire

À 9, 10, 11 ou 12 ans, reclusES dans un pensionnat ou non, nous avons découvert Bob Morane. Il fut le héros de plusieurs générations d’adolescentEs à qui il donna le goût de l’aventure, de la liberté, de l’égalité entre les être humains quelle que soit la couleur de leur peau, et de la justice. La plupart des fans, comme l’auteur de ses lignes, l’âge venu lui sont restés fidèles.

Décédé le 25 juillet à Bruxelles à l’âge canonique de 102 ans, Henri Vernes a été incinéré à Bruxelles début août et ses cendres déposées au columbarium du cimetière de Tournai, la ville de sa jeunesse au musée de laquelle il a légué ses collections d’arts premiers1. Il laisse un dernier roman de Bob Morane inédit.

Bien qu’il ait écoulé 40 millions d’exemplaires de ses livres et BD en soixante ans de carrière, Henri Vernes fait partie de ces romanciers éclipsés par la notoriété du héros qu’ils ont créé. Le sien s’appelle Bob Morane.

Crédité de plus de 200 romans dans sa carrière, à l’égal de l’autre écrivain belge Georges Simenon, la reconnaissance d’Henri Vernes par le milieu littéraire a été contrariée par l’étiquette d’écrivain pour ados, et le succès des adaptations de Bob Morane en BD renforça encore son image d’auteur pour la jeunesse : « On croit, à tort, qu’il est plus simple d’écrire pour la jeunesse, alors qu’il faut suer pour se renouveler sans cesse »2.

Henri Vernes, dont l’écriture était à la fois très classique et audacieuse, a touché avec Bob Morane à tous les registres de l’aventure : exploration, fantastique, science-fictio n, thriller, espionnage…

Une presque-vie d’aventurier

Henri Vernes naît le 16 octobre 1918 à Ath, dans une famille de petits commerçants qui s’établit à Tournai. À l’adolescence, le garçon dévore les romans d’Alexandre Dumas et des tonnes de fascicules populaires d’où émergent les aventures d’Harry Dickson rédigées anonymement par Jean Ray. Les sociétés secrètes et créatures fantastiques y pullulent. Élève médiocre, sa famille l’envoie en pensionnat au collège classique de l’Athénée Royale de Mons. En 1937, à 19 ans, il tombe sous le charme de Madame Lou, une chinoise rencontrée dans le port d’Anvers. Il s’embarque avec elle à Marseille pour Canton. C’est l’émerveillement dans une Chine au bord de l’explosion tandis qu’il découvre que la belle dame tient un « bordel » flottant. Il fuit Canton, se rend à Shanghai et parvient à rentrer en Belgique où il épouse la fille d’un diamantaire d’Anvers. Il apprend à connaître les pierres précieuses avant que le mariage ne capote au bout de quelques mois seulement. Service militaire et Seconde Guerre mondiale : piètre soldat, il se retrouve à Toulouse et n’échappe au stalag qu’en commençant la traversée de la France à pied. À Saintes, en Charente, il trouve un train à la barbe des Allemands et peut rentrer en Belgique. Il s’éprend d’Alice, une agente du MI63 et entre au réseau de renseignements VNRX256. Il « travaille » comme espion pour les services secrets britanniques. À la Libération, Henri Vernes s’installe à Paris. Il y travaille comme pigiste pour plusieurs journaux, écrit, sans succès, des romans sous son nom. Il rédige aussi, sous divers pseudonymes et sur commande, des récits d’aventure ou policiers. Il se rend en Haïti, la première république noire, à plusieurs reprises. Bob Morane n’est plus très loin…

Bob Morane, le héros total !

Le 16 décembre 1953 paraît la Vallée infernale, toute première apparition de Bob Morane, trentenaire aux multiples talents, déjà flanqué de son fidèle ami écossais Bill Ballantine. Tous deux anciens héros de la RAF et antinazis. Bob, flying commander et Bill, génial mécanicien. Dans les premiers romans, Bill n’est pas systématiquement présent dans les aventures mais il le deviendra à la demande du jeune public. Bob Morane, ingénieur, polyglotte, officier en disponibilité de l’armée de l’air, parcourt la terre entière, tel un moderne Don Quichotte au secours de « la veuve et de l’orphelin » avec une priorité pour les jeunes et jolies femmes sans que les relations sexuelles ne soient abordées en raison de la censure pour la littérature de jeunesse. Bob lutte pour la dignité des peuples, premiers en particulier, le respect des patrimoines culturels, la protection de la nature et les droits humains dont ceux des Roms. Dans les années 1950 et 1960, toutes ces notions sont nouvelles et enthousiasment les jeunes lecteurEs qui, pour certains, deviendront des militantEs environnementaux et/ou révolutionnaires.

Dès le premier volume, le succès est au rendez-vous et ne se démentira pas pendant quasi 50 ans. Le petit coup de mou des années 1980 sera effacé par la chanson triomphale d’Indochine « l’Aventurier » et de nombreuses expositions seront consacrées à Bob Morane, principalement dans les pays francophones4.

Henri Vernes, un auteur apolitique très politique !

L’écrivain se définissait lui-même comme humaniste avec des racines antiracistes et antifascistes très profondes. Il était admirateur de la vieille civilisation yiddish qui fut engloutie par le nazisme. Présent en Chine juste avant l’invasion barbare des Japonais, il ne put s’empêcher de faire revivre les massacres de Nankin (1938) dans un gros roman tardif, La guerre du Pacifique n’aura pas lieu (1997, également scénarisé en deux tomes de BD). Les nazis et leurs descendants sont cependant sa cible principale dans de très bon romans comme les Semeurs de Foudre (1962), le Cratère des immortels (1967) ou l’Arbre de vie (1988).

Bob Morane, en pleine guerre froide, n’hésite pas à collaborer avec les scientifiques russes dans les Géants de la Taïga (1958) ou la Vapeur du passé (1963) ou à rendre hommage à ce « bon vieux Fidel » dans Guérilla à Tumbaga (1971). Plus récemment, c’était un hommage aux zapatistes dans le Réveil de Kulkukan (1994), qui rendait leur fierté aux descendants des Mayas.

  • 1. Le musée de Tournai organisera cet automne (si la pandémie le permet) un grand évènement consacré à l’écrivain.
  • 2. Tiré d’une interview de Christophe Cortouts qui fut le dernier « collaborateur » d’Henri Vernes. Devenu aveugle, l’écrivain belge lui a confié le scénario et les 50 premières pages d’un dernier roman que C. Cortouts a eu le temps de terminer et qui devrait donc être publié prochainement.
  • 3. Arrêtée, elle ne parla pas et fut envoyée au camp de Ravensbrück dont elle revint très affaiblie.
  • 4. Les Bob ont également connu du succès dans le monde hispanique et arabe. Le Vietnam a également publié de nombreuses aventures en vietnamien.