Ce cinéaste vient de nous quitter (cf. l’Anticapitaliste n°271), et son décès n’a pas fait la une, en général. Il est vrai : son nom est lié à une zone floue de l’histoire de France, la guerre d’Algérie.
Ces derniers mois, nous avons été gavés d’anniversaires guerriers : « grande guerre », Seconde Guerre mondiale... Des journalistes nous ont asséné le souvenir des deux guerres faites par la France au 20e siècle... oubliant qu’il y eut trois guerres, pas seulement deux, omettant la plus longue et – hasard ? – celle qui fut perdue...Guerre coloniale, criminelle, absurde : lors de la décolonisation de l’après 45, le maintien du statu quo pour la seule Algérie, après l’échec indochinois, se masquait difficilement sous la prétention de « l’Algérie française », évidente arnaque : il y avait certes un choix, l’indépendance ou une véritable Algérie rattachée à la France avec égalité entre tous. On peut relire la presse de cette époque : honnie par les colons, cette solution fut écartée par les gens sérieux comme « trop coûteuse »... et il y eut sept ans et demi de guerre ! On peut imaginer, si l’alternative avait alors été proposée à tous les Algériens, ce qu’aurait donné un référendum...Bref, le peuple algérien n’avait le choix qu’entre être colonisé comme avant – ou indépendant en se battant, ce qu’il choisit. Dans cette guerre inégale où les gros moyens étaient français, l’aspect propagandiste de la lutte fut évidemment important.
TémoignerLe cinéma français d’alors connut donc cette situation, avec les impératifs de la censure qui veillait au grain. On saluait ceux qui arrivaient à glisser des allusions aux « événements », Resnais, Demy, Varda, dans leurs films. D’autres choisirent de témoigner par une lutte plus directe. Vautier fut de ceux-ci.Il rejoignit les maquis, tourna des « actualités FLN », qui trouvèrent une diffusion évidemment discrète mais efficace. D’autres noms sont aussi à rappeler : Mario Maret, et surtout Yann Le Masson, qui organisa aussi un circuit de livraison d’armes de la Belgique aux militants de la Fédération de France du FLN. Et n’oublions pas Michèle Firk, technicienne, ni l’équipe du Ciné Club Action, toujours là pour soutenir des travaux de diffusion risquée.Durant un demi-siècle, la guerre n’a pas provoqué, par la suite, dans le cinéma français des échos comme a pu le faire dans le cinéma américain la guerre du Vietnam. L’évolution des techniques donne plus de possibilités aux militants (il y avait la pellicule argentique, la recherche de labos complices, les aléas de diffusion des bobines...), et il y a encore aujourd’hui des gens qui se prennent en charge, et tâchent de témoigner dans ce métier, plutôt que d’ambitionner à devenir milliardaires comme on les y encourage officiellement...L’actualité me fait écrire ces lignes au moment de l’atroce attentat contre nos copains de Charlie. Il y a plus d’un demi-siècle, notre groupe, autour de Jeanson, se composait de chrétiens, même de curés, de communistes, de juifs, de goys... Rien que des gens qu’aujourd’hui vomirait un djihadiste.
P. L. Thirard