Publié le Lundi 24 février 2014 à 07h52.

Homosexualité et révolution

Réflexion d’époque pour une question toujours d’actualité

La réédition du très court Homosexualité et Révolution de Daniel Guérin, 25 ans après sa mort, rassemble, autour du texte du même titre, des interviews et des réflexions sur d’anciens textes. La première édition est parue en 1983, alors que Guérin avait 79 ans. Il en faisait un retour sur sa vie, sa prise de conscience de son homosexualité et ses expériences souvent douloureuses de l’homophobie dans la mouvement ouvrier.

Un témoignage ancré dans une réalité historique

Âgé déjà de 64 ans en mai 68, Guérin n’a que peu profité de la « libération sexuelle » dont hériteront les militants plus jeunes. Il en fut pourtant un des acteurs, lui qui publia dès 1954 un résumé de l’étude du chercheur américain Alfred Kinsey, sous le titre Kinsey et la sexualité, et participa à Arcadie (revue « homophile » éditée de 1954 à 1982 et comptant entre 1300 et 10 000 abonnés), comme au Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR).

Disons-le tout net : Homosexualité et révolution est avant tout un ouvrage autobiographique, et même introspectif.  Il est rédigé par un militant né en 1904 et ayant grandi dans un milieu bourgeois avant de rejoindre les rangs de la classe ouvrière. Pour toutes ces raisons, et bien d’autres, il est parfois frustrant, voire dérangeant (ainsi lorsque la limite entre homosexualité et pédophilie n’est pas clairement tracée). Il fait une impasse totale sur la question de l’homosexualité féminine1 . Enfin, il oppose la figure de « l’homosexuel exclusif », et celle du « bisexuel », ce dernier étant supposé être plus courant « dans la nature ». Il est curieux de constater que Guérin utilisait pourtant ces deux termes de façon interchangeable en ce qui le concerne, se définissant tour à tour comme bisexuel et homosexuel.

Ces limites sont sans doute en grande partie à relier au fait que l’identité homosexuelle de l’auteur s’était forgée à une époque de faible élaboration sur ces questions, une époque où les principaux textes homosexuels étaient des romans souvent interdits ou autocensurés.

Identité homosexuelle et idéal révolutionnaire

Il n’en reste pas moins que d’autres réflexions ont été produites avant ce texte, dans des groupes comme le FHAR ou par des militantes féministes lesbiennes. Or Guérin est bien davantage dans une démarche de retour sur son expérience, accumulant les anecdotes, que dans une recherche de synthèse ou de nouveaux apports.

L’enjeu central de l’ouvrage semble en effet être de répondre enfin à toutes les homophobies, en particulier au sein du mouvement ouvrier. Guérin dézingue à tout va, citant les noms, les dates et les lieux, dénonçant l’hypocrisie et la répression.

Il pose que l’homosexualité est par essence révolutionnaire et que la Révolution doit pouvoir permettre l’épanouissement de chacun, et donc des homosexuels : « le mot Révolution (…) désigne le soulèvement des masses laborieuses opprimées et exploitées séculairement et leur effort d’auto-affranchissement en même temps qu’il marque la désaliénation de chaque individu. » L’association est d’ailleurs réciproque, et il dénonce la tentation du ghetto des homosexuels dans une interview de 1985 intégrée à l’ouvrage, en soulignant la priorisation de son engagement dans la cause sociale.

Une réflexion à poursuivre  aujourd’hui

On peut certes regretter que l’élaboration sur les liens entre homosexualité et révolution se cantonne finalement à cet enjeu de la « désaliénation », contre la répression homophobe du mouvement ouvrier (« ce dont les gens de mon espèce avaient, en ces temps, le plus à souffrir, c’était la crainte permanente de perdre la considération, de susciter le mépris, ou même la répugnance, de ceux de nos camarades qui nous eussent pris en flagrant délit de tendances homosexuelles »). 

Car aujourd’hui, avec la mise en place, incomplète mais fortement symbolique, des droits civiques pour les gays et les lesbiennes, la prise en compte des questions homosexuelles dans le mouvement ouvrier tend à se limiter à ces revendications légalistes. Or la résurgence des courants homophobes, sous l’œil bienveillant du gouvernement, doit nous rappeler que le lien entre identité homosexuelle et idéal révolutionnaire reste essentiel. 

Chloé Moindreau

1 C’est pourquoi cet article ne sera pas féminisé, Guérin se concentrant exclusivement sur l’homosexualité masculine et les questions de virilisme dans le mouvement ouvrier, en ne citant que des exemples masculins.