Publié le Lundi 28 septembre 2015 à 09h26.

« Je me sens plus artisan de la BD qu’artiste »

Entretien. Auteur de bande dessinée dans la région bordelaise, Bruno Loth sera présent à la fête du NPA 33 samedi 10 octobre (Fête du NPA 33, de 14 h à 23 h, salle Victor-Hugo à Cenon. Programme ). Il y présentera et dédicacera le troisième tome sorti cette année de sa BD Apprenti/Ouvrier, une trilogie sur le monde ouvrier et le quotidien des familles de 1935 à 1945 à Bordeaux.

De quoi parlent tes livres ?

Je cherche à écrire avant tout l’histoire que j’aimerais lire. Par exemple, quand j’ai commencé la série Ermo, ayant beaucoup lu sur la guerre d’Espagne et reçu beaucoup de témoignages, je trouvais intéressant de parler enfin du rôle des anarchistes et de leur formidables réalisations au début de la guerre civile. C’est ce qui m’a poussé à réaliser mon premier album. Puis avec Apprenti et Ouvrier, c’est la condition ouvrière qui m’intéressait. Je la raconte à travers l’expérience de mon père, de 1935 à 1945 à Bordeaux. Dans les deux ouvrages, je parle d’histoire et de politique, l’un ne pouvant aller sans l’autre, et il me plaît de ne pas les dissocier du quotidien des hommes.

Ma prochaine BD se passe à Madrid de nos jours en mai 2015. On y voit l’enthousiasme des Espagnols pour ce nouvel élan citoyen que leur procure Podemos contre la corruption des politiques et la complicité des banques, pour une véritable solidarité sociale… Bien sûr j’en parle, mais ce n’est pas l’essentiel du récit, c’est plutôt la quête intérieure d’une femme qui cherche ses origines, sa mère étant une enfant de la Retirada. C’est vrai que les sujets que j’aborde touchent souvent au social...

Dessinateur ou artiste indépendant en autoproduction, ça se passe comment ?

J’ai choisi d’être auteur-éditeur avant tout pour plus de liberté. Je dispose d’une marge de manœuvre plus grande et je garde ainsi mon libre arbitre en assumant mes choix. L’auto-diffusion est un peu contraignante côté déplacements, mais permet de garder le contact avec mes lecteurs, ce que j’apprécie particulièrement en dédicaces. Quand j’ai créé la série Ermo en 2006, je n’avais pas un euro d’avance. J’ai lancé une souscription relayée par des amis dans leurs entreprises et tout est parti de là. Aujourd’hui il existe plusieurs sites de « crowdfunding » qui font exactement la même chose, faisant appel à la générosité des lecteurs. Des projets aboutissent qui n’auraient certainement jamais vu le jour autrement. C’est très bien si ça permet l’autogestion artistique. J’en doute ! Mais ça c’est un autre débat... L’important pour moi étant de participer le moins possible à une économie capitaliste, l’auto-édition-diffusion semblait à mes yeux correspondre à mes aspirations philosophiques et politiques. Je me sens plus artisan de la BD qu’artiste.

J’arrive à en vivre, c’est déjà ça. Nombreux sont les auteurs de BD qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, et qui pourtant publient chez de gros éditeurs. En sachant que pour faire un album de BD, c’est souvent 2 ou 3 années de travail et que les droits d’auteur s’élèvent rarement au dessus de 20 000 euros chez un gros éditeur et entre 500 et 3 000 euros chez un petit, à ce tarif, on est loin du SMIC...

Pour toi, le dessin, c’est un acte militant, un moyen de contester la société ?

Une BD est un bon outil de communication et de proposition d’idées. Si mes histoires sont porteuses de critiques envers la société, ce n’est pas forcément voulu. Je parle de choses qui m’intéressent, avec un certain regard sur la vie des gens dans notre société. Même si cela se passe dans les années trente, l’exploitation des ouvriers n’est pas si différente de celle d’aujourd’hui ! La politique d’hier a engendré celle d’aujourd’hui et a permis au capitalisme de s’enraciner et de gagner du terrain. Ça me paraît intéressant d’en comprendre le mécanisme à travers l’histoire et de l’évoquer dans un récit. Alors le dessin devient militant. Mais il me paraît important pour faire passer un message de ne pas être didactique et de laisser le lecteur se faire sa propre opinion.

Dans Ermo, j’aurais pu choisir comme personnage principal un anarchiste de la CNT. Je lui ai préféré Sidi, un homme sans opinion politique qui évolue tout le long du scénario pour finir dans un engagement total. L’engagement me paraissait plus intéressant à montrer que la lutte en elle-même, c’est une lutte intérieure.

« L’art sert à laver l’âme de la poussière de tous les jours », disait Picasso. Alors la BD a son rôle à jouer dans le débat d’idées je crois…

Propos recueillis par Philippe Poutou