Publié le Mercredi 15 février 2023 à 17h26.

« La Déferlante souhaite documenter notre époque post-MeToo du point de vue journalistique, scientifique, militant »

Entretien. Depuis mars 2021, La Déferlante consacre tous les trois mois un numéro aux féminismes et au genre avec un angle original. L’Anticapitaliste a rencontré Marie Barbier, co-rédactrice en chef et co-fondatrice de la revue des révolutions féministes.

En tant que néo-rennaise, as-tu entendu parler de Awa Gueye, qui anime le collectif Justice et Vérité pour Babacar, son petit frère tué par la police en décembre 2015 ?

Je viens de m’installer à Rennes, donc non, pas encore. Par contre, j’ai bossé pendant 13 ans pour l’Huma, pour laquelle j’ai suivi les luttes contre les violences policières. J’ai vu l’ampleur que cela a pu prendre, le lien avec le mouvement antiraciste, et la place des « soeurs de… », quasi iconiques, comme Assa Traoré.

Le prisme du genre se situe au carrefour des luttes, le genre vient agir sur toutes situations. Concernant les luttes contre les violences policières, le prisme de la race est évident, celui de la classe aussi mais celui du genre aide également à saisir la situation. 

Comment la masculinité se construit dans les quartiers populaires, comment les petits frères grandissent et deviennent la cible de violences étatiques, quelle est la place des garçons dans la construction de la domination, quel est le poids du système...

Ce sont de jeunes hommes racisés qui sont pris pour cible dans l’espace public et leurs sœurs/mères/compagnes qui se retrouvent ensuite à prendre la tête de la lutte.

Le numéro 8 de La Déferlante consacre un reportage à La Bulle, collectif militant rennais de garde des enfants, par exemple pendant les manifs...

C’est un sujet qui nous a été proposé par la journaliste Charlotte Hervot et, au-delà de partir du local, cela montre concrètement à quoi peuvent servir les luttes féministes. C’est une des marques de fabrique de la revue, que de dézoomer, aller vers les pratiques. 

Cela permet de diversifier son lectorat. On met un point d’honneur à ne pas parler qu’aux seules militantes. Ainsi, par exemple, quand on parle de La Bulle, on ne s’adresse pas qu’aux femmes qui vont en manifs : en tirant toutes les questions de genre posées par cette situation, on élargit. C’est-à-dire la volonté d’avoir ou non des enfants, qui ne contredit pas nécessairement la capacité et l’envie de s’occuper d’enfants, par exemple. On se situe de façon subtile entre l’intime et le politique. On cherche d’autres histoires, d’autres références qui permettent de sortir d’un monde hétéro-normé.

En outre, on veille à tout définir afin d’éviter l’entre-soi. Cela passe par le fait de ne pas considérer que le lecteur ou la lectrice sait précisément ce que recouvrent des termes comme « cis » ou « trans » par exemple.

La Déferlante, c’est donc une diversité de points de vue ?

Nous avons fait le choix d’avoir recours à une diversité de formats : déjà pour rendre la lecture attrayante — en tous cas plus que les sujets graves qu’elle peut aborder — mais aussi pour l’accessibilité de la revue. Il y a des textes longs, mais présentés de façon aérée, on trouve aussi de la BD, un portfolio...

On cherche aussi la diversité des écritures. Donner la parole dans l’espace médiatique est une situation de pouvoir, nous en sommes conscientes. Alors on ne trouvera pas dans la revue de numéro 100 % journalistes : on donne la parole au monde militant, au monde académique, aux universitaires mais aussi aux premières concernées.

Concrètement, on peut aussi bien animer un atelier d’écriture à la prison des femmes, que demander à une universitaire d’écrire « l’histoire d’un slogan ». Le rôle du journaliste est aussi d’accompagner à l’écriture celles et ceux qui sont dépourvuEs d’expression publique en général.

Cependant, le but est de diversifier sans hiérarchiser. Ces paroles — militante, scientifique, concernée — que l’on cherche à articuler, sont ici à égalité.

Quelle est la place du manifeste de La Déferlante ?

Le manifeste est né de notre pratique. On l’a posé avant d’écrire la revue, on s’y tient même si on le/se questionne au fil de l’expérience. Il nous aide, il nous guide, face à des questions comme celles-ci : à qui on ouvre nos colonnes ? Pour qu’il y ait débat, comment ne pas donner la parole à des transphobes, à des racistes ? Comment faire vivre dans la revue les différents courants féministes, les mettre en présence, comment aborder des questions comme le voile, donner à voir ces débats, en évitant des propos jugeants, voire racistes ? 

La Déferlante est une revue de qualité… Pourquoi est-elle une revue de librairie ?

C’est une revue trimestrielle qui coûte assez cher, ce qui nous permet de payer toutes celles et ceux qui y contribuent. On a voulu que ce soit joyeux, un graphisme pop, moderne. On y aborde des sujets graves, durs, et malgré tout on veut donner de la joie. On vient de la presse et on a eu envie de s’amuser, on a mis une grande attention à faire quelque chose de beau, avec de la couleur. On fait appel à des graphistes, des illustratrices, des photographes.

Notre modèle économique repose sur les abonnements et sur la présence dans un millier de librairies, c’est notre écosystème. La présence en kiosque ne serait pas intéressante pour la diffusion. La Déferlante est aussi présente dans un grand nombre de bibliothèques.

La Déferlante, c’est donc LA revue des révolutions féministes ?

Il existe d’autres revues que nous apprécions beaucoup comme Panthère première, Well, Well, Well et Gaze. La Déferlante se veut généraliste, on souhaite documenter notre époque post-MeToo, raconter comment ça se passe du point de vue journalistique, scientifique, militant, montrer ce bouillonnement autour du genre. Le développement des études de genre est très important actuellement et nécessite un travail de vulgarisation, d’une manière lisible et accessible à notre lectorat, qui est très jeune.

Le genre est partout. On peut tout étudier du point de vue du genre. Dans chaque numéro de La Déferlante, on part d’un verbe — « jouer » dans le numéro 8, pour le 9 ce sera « baiser » — et on décline du point de vue du genre. Les oppressions sont partout, le genre est partout, dans le fait d’habiter les quartiers populaires, dans la sortie de Sandrine Rousseau sur le barbecue. Oui, le genre est partout !

La revue des révolutions féministes, parce qu’elle se situe au carrefour de diverses manières de voir, et qu’elle assume une vraie dimension intersectionnelle. 

Propos recueillis par Anjela et Vincent, du comité NPA de Rennes

Le prochain numéro de La Déferlante sort le 17 février 2023.