Éditions Finitude, 128 pages, 14,50 euros
Trois femmes, trois sœurs racontent leur quotidien en France juste après la Libération. Elles sont issues d’une fratrie de six enfants qui « ont poussé comme ils ont pu ».
Il y a d’abord l’histoire de la cadette, Clara. Elle a une vingtaine d’années, elle travaille au service d’une famille qu’elle présente comme étant sympathique et généreuse. Un matin, alors qu’elle s’apprête à préparer leur déjeuner, la police vient la chercher pour qu’elle réponde aux accusations concertant son prétendu avortement. Sans explication, elle est emmenée au commissariat puis conduite en prison, elle y reste plusieurs mois, son procès étant constamment ajourné : « Ils n’étaient pas bien pressés de me juger. Il est vrai que je n’avais seulement pas d’avocats pour me soutenir ». Heureusement sa patronne va jouer de ses relations et ainsi lui éviter la maison de redressement.
Travail à la chaîne et violence des hommes
Ensuite, il y a Jacqueline dite « Jacquotte », la benjamine qui travaille à la chaîne comme couturière. Elle décrit et dénonce les difficiles conditions de travail des ouvrières « serrées comme des sardines pour que la manipulation des pantalons soit plus rapide et plus facile » de faire gagner de l’argent au patron, la chaleur étouffante et l’odeur épouvantable dans les ateliers, les douleurs physiques et l’abrutissement des esprits.
Elle raconte aussi la violence des hommes, celle du père qui giflait facilement ses enfants lorsqu’ils lui manquaient de respect, puis celle du conjoint qui frappe lorsque le repas n’est pas prêt.
Enfin il y a Louison, l’aînée. C’est une femme forte qui refuse la soumission, elle parle de ses sœurs comme de victimes qui n’ont pas su se débrouiller dans la vie. Elle, elle a décidé de ne plus travailler et de se faire entretenir par un homme riche qui fait du trafic. Elle profite de sa beauté et s’autorise d’autres relations sexuelles.
Souffrance des corps face aux exigences patriarcales et patronales
L’auteur, Raymond Guérin, avec des phrases courtes et percutantes décrit avec empathie les classes populaires, la souffrance des corps qui se plient aux exigences patriarcales et patronales, avec l’interdiction faite aux femmes à disposer de leur corps, leur culpabilisation lorsqu’elles sont enceintes, l’interdiction d’avorter (sauf si elles ont un ami médecin), les corps malmenés au travail, ankylosés, qui souffrent du froid, de la fatigue.
Clara, Jacquotte et Louison ont toutes les trois bien conscience de cette double domination, celle de leur classe sociale et celle de leur genre. Elles survivent et tiennent malgré tout parce qu’elles ont la peau dure.
Heureusement qu’il y a des avancées sociales. Les allocations familiales qui permettent à Jacquotte de subvenir en partie aux besoins de son enfant, les dispensaires de santé qui leur assurent un suivi médical et enfin la Sécurité sociale, qui vient d’être mise en place par le Conseil national de la résistance (CNR) sans quoi Jacquotte, faute d’argent, n’aurait pas pu être soignée correctement.
La Peau dure est un récit écrit en 1947, juste au sortir de la guerre. C’est un plaidoyer féministe contre les dominations patriarcales et patronales qui résonne par son actualité quelque 70 ans plus tard.