Tribune. Cette semaine nous ouvrons nos colonnes au physicien Hubert Krivine à l’occasion d’un anniversaire qu’il ne faut pas oublier de célébrer...
« Ce que j’admire le plus dans votre art, dit Albert Einstein à Chaplin, c’est son universalité. Vous ne dites pas un mot, et pourtant le monde entier vous comprend. C’est vrai, réplique Chaplin. Mais votre gloire est plus grande encore : le monde entier vous admire, alors que personne ne vous comprend. »
La théorie de la relativité restreinte a maintenant 110 ans et celle de la relativité générale, un siècle. Aussi ce dialogue attribué à Einstein et Chaplin a un peu vieilli : aujourd’hui la théorie de la relativité (restreinte) est enseignée à tous les étudiants en science, ce qui concerne quand même dans le monde quelques millions de personnes.
À l’instar de la mécanique quantique, la relativité a été conçue en vue d’expliquer certains paradoxes théoriques ou expérimentaux auxquels la science « classique » était confrontée. Pas pour fabriquer des lasers ou des bombes. Il est remarquable de voir que la réponse à ces soucis qui n’impliquaient qu’une toute petite frange de physiciens va, en moins de cinquante ans, concerner toute l’humanité. Des milliards de gens se servent – certes à leur insu – de la théorie de la relativité générale : tous les utilisateurs de GPS sur leur téléphone portable.
La relativité restreinte enseigne quatre choses liées, faciles à exposer, mais pas nécessairement à comprendre (voir encadré). Quant à la relativité générale, elle est difficile à exposer et encore plus à comprendre. L’usage pour vulgariser est de dire qu’elle décrit un espace-temps qui est déformé par la présence des masses. Est-ce compréhensible1. En d’autres termes que Einstein n’était pas uniquement un assassin ! Rien de plus bête : en 1915, on était à mille lieues de l’idée d’une telle bombe, mais surtout la théorie de la relativité est simplement (avec la mécanique quantique) la base de toute la physique moderne. Son but était uniquement d’aider à comprendre le monde !
Cette compréhension n’est ni achevée ni probablement achevable. On sait, par des observations astronomiques, que l’univers est en expansion, c’est donc qu’il a émergé jadis (il y a plus de 13 milliards d’années) d’une origine de dimension microscopique : le Big Bang. On le sait en remontant à l’envers les équations de la relativité qui régissent son évolution. Mais quand on les remonte trop, on arrive à un univers tellement contracté et chaud, qu’il faut, pour le décrire correctement, disposer d’une théorie quantique de la gravitation. Ce qu’on ne sait pas faire aujourd’hui.
Restent encore deux énigmes. Les mouvements des étoiles dans les bras des galaxies ne sont explicables par les lois de la gravitation même relativistes, que si on suppose la présence d’une quantité énorme de matière non vue. Cette matière « noire », inconnue, représenterait au moins 80 % de la matière de l’univers. De plus, l’expansion de l’univers irait en s’accélérant, ce qu’on ne pourrait expliquer que par l’existence également hypothétique d’une énergie « noire » qui représenterait 90 % de l’énergie totale de l’univers. En bref, plus de 90 % de l’énergie et de la masse nous seraient totalement inconnues !
Répercussions majeures
Nous voudrions tirer deux conclusions de cette présentation de la relativité :
1 – La relativité n’est pas contradictoire avec la physique habituelle (celle de Newton, qu’on apprend à l’école). Elle la fait seulement apparaître comme un cas particulier, valable (et même tout à fait suffisante) aux vitesses, distances et masses usuelles. Même si on l’ignore, ses applications sont partout présentes. Elle a de plus permis une réflexion tout à fait nouvelle sur le temps et l’espace.
2 – Jamais Einstein n’aurait pu faire financer ses recherches avec les méthodes d’aujourd’hui, c’est-à-dire des projets à court terme, bien finalisés avec retombées prévisibles de brevets.
Répétons-le : il n’y a jamais eu de progrès majeur dans la théorie, même en mathématiques, qui n’ait eu de répercussion majeure dans la société. À nous de veiller à que ces répercussions soient bénéfiques !
1 • La vitesse de la lumière, c, est une constante absolue d’environ 300 000 km/s indépendante de la vitesse de l’observateur. C’est paradoxal, car si l’on se déplace en TGV à 300 km/h et qu’on envoie un signal lumineux vers l’avant, on s’attend à ce qu’il se déplace à la vitesse de c + 300 km/h par rapport au paysage. Il n’en est rien : la mesure de la vitesse de la lumière donne toujours la même valeur c, que la source soit immobile ou en mouvement. Rassurons-nous : les vitesses faibles (petites par rapport à celle de la lumière) s’ajoutent bien : si vous marchez à 5 km/h dans ce TGV, vous ferez, comme votre intuition vous le suggère, du 305 km/h par rapport au paysage (mais il faudrait en toute rigueur retrancher à ce résultat 5/100 de milliardième km/h !).
2 • La fameuse relation E=mc2. Elle exprime que toute masse possède un contenu énergétique, appelé énergie de masse. Ce qui veut dire par exemple que la disparition de 1 mg de matière crée une énergie colossale de 20 millions de kilocalories ! En fait toute production d’énergie correspond à une perte de matière et réciproquement : toute perte de matière correspond à un dégagement d’énergie. Mais pour des énergies « raisonnables », celles de la vie quotidienne, cette perte est dérisoire et on ne l’avait jamais mesurée : pour une kilocalorie, elle vaudrait moins d’un milliardième de milliardième de microgramme ! On pouvait donc croire que dans les réactions chimiques, « rien ne se perd, rien ne se crée ». Par contre, dans les réactions nucléaires (fission ou fusion) les pertes de masse ne sont plus dérisoires et l’énergie libérée devient colossale. La chaleur du soleil (ou des bombes atomiques) peut en témoigner.
3 • L’inertie d’un corps n’est plus identique à sa masse, elle augmente avec sa vitesse. Ce point est subtil. L’inertie d’un corps caractérise sa résistance à la mise en mouvement. Sa masse intervient dans la loi de gravitation, par laquelle les masses s’attirent. Il se trouve que, aux petites vitesses, les deux grandeurs sont identiques. Mais, lorsque la vitesse d’un mobile augmente, sa masse ne change pas mais son inertie augmente, si bien qu’il devient de plus en plus difficile de l’accélérer. Comme l’inertie devient infinie lorsque la vitesse s’approche de la vitesse de la lumière, celle-ci apparaît comme une limite indépassable. La vitesse de la lumière ne peut être atteinte que par des corps de masse nulle : les photons qui sont les « grains » de lumière qui se propagent avec elle.
4 • Nous vivons avec l’intuition que le temps est universel : il se déroule pour tout le monde de la même façon, que l’on soit au repos ou en mouvement. En fait, là encore, cela n’est vrai que lorsque les vitesses en jeu sont petites devant celle de la lumière. Il n’y a plus de temps absolu : sa mesure dépend de la vitesse de l’observateur. À la limite, un photon qui s’éloigne à la vitesse de la lumière d’une horloge fixe ne pourrait pas « voir » les aiguilles bouger, puisque c’est toujours le même signal qui lui parvient. Quant à vous, vous éloignant à vitesse plus faible, vous les verriez tourner, mais plus lentement. Bien entendu, ce ralentissement est imperceptible aux vitesses usuelles, il n’avait donc jamais été observé. Il a été maintenant largement mis en évidence par exemple dans des avions embarquant des horloges atomiques (de précision inouïe, car elles dérivent de moins d’une seconde pour 160 millions d’année) !
Lire De l'atome imaginé à l'atome découvert, contre le relativisme, Hubert Krivine, 19 euros.
- 1. Voir par exemple l’article assez pédagogique « La Relativité générale et la Courbure de l’espace-temps » : http://www.astronomes.co…] ?
Énigmes et inconnues
Un chroniqueur « culturel » de télévision a osé raconter que « Le but de la relativité n’était pas uniquement la construction de la bombe atomique »
Accréditant ainsi pour des millions de téléspectateurs, l’idée que la science est responsable du lâcher de la bombe sur Hiroshima, comme si la découverte du bacille de la peste par Yersin était responsable de la guerre bactériologique !