Publié le Mardi 26 février 2013 à 22h20.

La Résistance en art

L’exposition « l’Art en guerre, France 1938-1947 », au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, retrace le parcours des artistes surréalistes pendant la guerre. Un parcours de résistance, riche en œuvres originales.

Le musée d’Art moderne de la Ville de Paris présente jusqu’au 17 février « l’Art en guerre, France 1938-1947 ». Une exposition de premier intérêt à la fois pour la leçon d’histoire qu’elle dispense et pour les quelque 400 œuvres qu’elle offre aux regards. À l’été 1942, voilà soixante-dix ans, ce même musée ouvrait ses portes au public pour la première fois, sous prétexte de ne pas laisser ses murs à la disposition de l’occupant, mais sans doute aussi pour lui disputer le monopole des expositions, à l’instar de celle du sculpteur nazi Arno Breker présentée entre mai et juillet à l’Orangerie. Bien sûr, on avait débarqué de sa direction Jean Cassou, communiste et résistant, et écarté tout vestige « d’art dégénéré » au profit de peintres certifiés français – c’est-à-dire non juifs – et de sujets vantant le « travail-famille-patrie » si cher à Pétain : maternités, athlètes, vases et pichets… L’exposition « l’Art en guerre » offre, pour mémoire, quelques-unes de ces pièces d’art « officiel » et n’omet pas de rappeler que les peintres André Derain, Maurice de Vlaminck, Kees van Dongen, le sculpteur Paul Belmondo et divers autres allèrent, toute honte bue, se produire en Allemagne pour faire leur cour à Goebbels. Mais tel n’est pas le sujet de cette exposition.

« Ennemis potentiels »

Partant de l’exposition surréaliste parisienne de 1938, qui augurait les malheurs imminents plusieurs mois avant Munich, elle suit nombre de ses concepteurs, peintres expatriés, juifs comme Victor Brauner ou allemands comme Hans Bellmer et Max Ernst (déchu de sa nationalité par les nazis dès 1933), dans leurs cachettes ou dans les camps (Gurs, Les Milles…) où l’État français interna préventivement ces « ennemis potentiels ». Elle évoque ceux auxquels ni Vichy ni les nazis n’osèrent toucher, tels Pablo Picasso, à qui l’on avait constamment refusé la nationalité française, ou Vassily Kandinsky, dont on peut voir six des œuvres ultimes, autant de cimes. Elle montre, souvent pour la première fois, les créations de persécutés alors connus, comme le peintre et sculpteur Otto Freundlich, ou inconnus, Charlotte Salomon notamment, attendant en prison ou dans les camps qu’on les envoie à la mort, individuelle ou de masse. Elle s’achève par les recherches des survivants pour frayer, la Libération venue, de nouvelles pistes s’inspirant en particulier de l’art des aliénés, des marginaux ou des peuples colonisés…

La place manquant ici pour décrire chacune des quatorze sections de ce parcours à la fois chronologique et thématique, on soulignera seulement la justesse de leurs choix et l’excellente mise en contexte résultant de leur disposition. C’est le cas, par exemple, des vitrines sombres et un peu à l’écart rassemblant les créations des prisonniers, métaphore assez évocatrice de leur sort. On peut regretter que, s’ouvrant sur l’exposition surréaliste de 1938, « l’Art en guerre » ne fasse pas mention de l’exposition surréaliste de 1947, également parisienne et certainement prémonitoire elle aussi de désastres futurs. Oubli rendu négligeable par l’abondance et la grande variété des œuvres présentées, les surprises qu’elles procurent souvent – dont les tableaux au vitriol de Joseph Steib – et la rigueur historique de l’ensemble de cette manifestation. Il y a enfin le message qu’elle délivre. Son titre, ambigu, peut laisser croire que les artistes se sont mis au service de la guerre, dans une logique de propagande et d’asservissement de l’art. Ce qu’elle fait valoir au contraire pour le meilleur et le plus grand nombre des artistes cités, c’est la résistance dont ils ont fait montre. Une résistance par l’art, début de la liberté et prélude à l’émancipation intégrale. 

1. Voir la chronique et l’entretien avec DOA publiés dans le n° 34 de TEAN La Revue.