Austère monolithe de béton ocre, le Mémorial de Rivesaltes est enterré, laissant visibles au visiteur les quelques baraques subsistant du camp où furent internés, dans des conditions inhumaines, toutes les personnes jugées, à un moment ou un autre, « indésirables » par l’État français.
Enterré comme l’a été pendant des décennies l’histoire de ce lieu, proche de Perpignan. Une histoire qui sort peu à peu de l’oubli, depuis qu’en 1997 un employé municipal découvrit par hasard des archives du camp... jetées dans une décharge publique !
Cela fut le plus durable mais aussi plus grand camp d’internement en France : 612 ha dont ne restent que les 42 ha de l’îlot F où a été construit ce mémorial, à l’endroit même de la place de rassemblement d’où partirent en 1942 les convois emmenant les juifs dans les camps d’extermination.
Par une rampe, on accède à un long couloir comme un sas d’introduction dans un voyage dans le temps. Une grande salle d’exposition rassemble en une seule mémoire le calvaire des milliers d’internés que l’on peut suivre au travers de centaines de films, d’archives, de témoignages oraux et écrits.
Comme l’explique Kader Goutta qui, enfant, y vécut seize ans, « je l’appelle le camp maudit de toutes les communautés qui sont passées par là. Ça a été affreux ». Républicains espagnols fuyant les armées de Franco, parqués dans des conditions ignobles sur les plages du Roussillon par le gouvernement du Front populaire, internés ensuite par décision de Vichy, notamment à Rivesaltes ; puis juifs européens fuyant le nazisme, suivis de juifs français victimes de rafles vichystes, Rivesaltes devenant le « Drancy de la zone libre » ; Tsiganes français chassés d’Alsace-Moselle par les troupes allemandes mais considérés comme un « fardeau » par les autorités françaises et mis derrière des barbelés.
Mémoire d’un passé qui ne passe pas
Après la Deuxième Guerre mondiale, le camp, souvent écrasé par le soleil et balayé par une violente tramontane, a continué à servir de prison pour les « ennemis de la France » et autres « indésirables ». De 1944 à 1948, 10 000 prisonniers de guerre y sont internés. En 1954, début de la sale guerre d’Algérie, c’est un lieu d’emprisonnement d’indépendantistes algériens. Puis, il fut un lieu de « transit » (de 15 ans !) pour 22 000 harkis et leurs familles. Des baraques en bois sans fenêtre ni chauffage, dans le dénuement le plus total en guise de « remerciements pour services rendus ». Même traitement « postcolonial », comme le caractérise l’historien Nicolas Lebourg, pour les autres militaires, guinéens et indochinois, ayant été enrôlés dans l’armée française et rapatriés avec leurs familles à la fin des guerres coloniales. Enfin, comme un trait d’union entre passé et présent, de 1986 à 2007, centre de rétention où sont enfermés ces nouveaux « indésirables », sans-papiers, dans le cadre de la politique raciste de tous les gouvernements jusqu’à aujourd’hui.
Des stèles ont été érigées sur le site à la mémoire des victimes de plusieurs communautés. Mais, lors de l’inauguration du Mémorial en 2015 par Manuel Valls, la seule stèle qu’il a évitée, c’est celle érigée par la Cimade qui rend hommage aux migrants du centre de rétention. Cet acte méprisant à l’égard des victimes de la politique raciste d’aujourd’hui – tout comme l’abjecte présence parmi les invités du chef FN Louis Aliot – montre combien cette inauguration n’était qu’une obscène tentative de récupération de la part des représentants de l’État français de la mémoire de ceux-là mêmes qu’il a persécutés.
Visiter ce Mémorial, c’est voyager dans les heures les plus sombres du 20e siècle. Un passé qui ne passe pas et que le Mémorial évoque avec une carte des camps de réfugiés actuels. C’est questionner le présent : la chasse aux migrants, les guerres impérialistes, la haine raciste, la remontée des nationalismes. Cette mémoire précieuse accumulée dans ce lieu appartient à toutes ces victimes de la barbarie capitaliste d’hier et d’aujourd’hui et à toutes celles et tous ceux qui veulent en finir avec ce système oppressif.
Josie Boucher