Revue, Venus d’ailleurs éditeurs, parue le 7 juillet 2022, 102 pages, 20 euros.
Contrairement à ce qu’on prétend chez les embaumeurs de momies muséales et les marchands de vaches au formol, le surréalisme en France est bel et bien vivant. En témoigne le troisième numéro de la revue Alcheringa, publiée par le Groupe de Paris du mouvement surréaliste.
Une réjouissante présence féminine
Ce titre, Alcheringa, quelque peu ésotérique, signifie dans la langue aranda des aborigènes d’Australie « le temps des rêves ». Le mot apparaît dans un célèbre texte d’André Breton, Main première (1962). Comme l’explique Sylwia Chrostowska dans l’introduction à ce numéro, l’art de rêver pour les surréalistes inclut non seulement les manifestations oniriques de l’inconscient mais aussi les utopies.
Dans la tradition des publications surréalistes, Alcheringa n° 3 contient des essais, des poèmes, des jeux collectifs, des récits de rêves, des déclarations collectives, des enquêtes — « quel serait l’acte surréaliste le moins simple ? » — et de nombreuses illustrations signées par Yoan Armand Gil (la couverture), Michèle Bachelet, Sylwia Chrostowska, Sarah Froidurot, Antonella Gandini, Guy Girard, Alex Januario, Ody Saban, John Welson et Virginia Tentindo, entre autres. Cette réjouissante présence féminine est d’ailleurs une des caractéristiques du surréalisme actuel. On y trouve aussi des documents d’archives, comme cette étonnante fiche de police de l’Union des écrivains soviétiques sur André Breton (1938) — coupable de « soutien actif à Léon Trotsky » — découverte, traduite et présentée par Régis Gayraud.
La subversion pour œuvrer au réenchantement du monde
Les essais concernent l’exposition sur Toyen à Paris [au musée d’art moderne de Paris du 25 mars au 24 juillet 2022, NDLR] (Bertrand Schmitt), l’art brut des « peintures domestiques » (Bruno Montpied), la photographie surréaliste (Guy Girard), mais aussi la subversion, qui n’a pas cessé depuis 1924 d’être le noyau de la comète surréaliste. C’est un fil conducteur qui traverse plusieurs contributions. Par exemple, dans une déclaration collective, « Quand le surréalisme aura cent ans », signée par 16 membres du Groupe de Paris, il est question de la vocation du surréalisme à « délivrer la raison de ses chaînes positivistes et de son instrumentalisation marchande », et de son refus de composer avec le monde tel qu’il ne va pas, son langage, ses servants, ses techniques. Dans le même esprit critique, Guy Girard (« De quelques récentes infortunes de l’image ») dénonce la caution qu’apportent certains artistes au « décervelage général » et appelle à la recherche du point sublime, à partir duquel sera possible la récupération totale de notre force psychique pour œuvrer au réenchantement du monde. Le dépassement de la rationalité bourgeoise, cartésienne, grâce au principe fouriériste d’attraction passionnelle et grâce à la raison ardente des romantiques et des surréalistes, c’est le thème du bel essai de Patrick Lepetit, qui avance « sous le pavillon noir de la tradition de la nuit ». Enfin, Joël Gayraud, dans un bref mais lumineux texte (« Transformer le monde pour le rendre digne d’être parcouru »), appelle à prendre « le canal souterrain de la révolte » et à voyager « dans le temps fédéré des insurrections du corps et de l’esprit ».
Très diverses, ces différentes manifestations ne sont pas moins animées par cette fusion alchimique de l’Amour, la Poésie et la Révolte qui caractérise depuis ses origines jusqu’à nos jours l’aventure surréaliste.