Publié le Mercredi 29 septembre 2021 à 14h21.

L’Eau rouge, de Jurica Pavičić

Éditions Agullo Noir, 384 pages, 22 euros.

L’Eau rouge est le premier roman traduit en français du Croate Jurica Pavičić. Septembre 1989, c’est la dernière fin d’été en Yougoslavie (un pays dont il est courant aujourd’hui de considérer qu’il était une aberration condamnée dès le départ alors qu’il a représenté un moment un réel espoir – mais cela excéderait les limites de cet article). À Misto, petite localité de la côte dalmate, il fait beau, la vie semble tranquille et il y a du travail. Brusquement, Silva Vela, étudiante de 17 ans, disparaît. La vie de la famille va s’en trouver bouleversée. Mais aussi celle de plusieurs jeunes qui la connaissaient et vont faire figure de suspects. L’inspecteur Gorki Sain, venu spécialement de Split, la ville voisine, mène l’enquête.

Sur fond d’effondrement de la Yougoslavie

Mais un deuxième évènement bien plus ample va s’entremêler avec la disparition de Silva. 1990 marque le début de l’effondrement de la Yougoslavie. Partout, en Croatie, les emblèmes nationalistes et catholiques remplacent les portraits de Tito. Sain perd son poste : dans la Croatie indépendante, il ne fait pas bon porter le nom d’un célèbre combattant antifasciste et communiste de la Seconde Guerre mondiale auquel, au surplus, on a donné Gorki comme prénom en souvenir de l’écrivain russe. Puis la guerre va éclater ; certains jeunes de Misto sont embrigadés dans la nouvelle armée croate.

L’enquête s’enlise et le successeur de Gorki, suppôt du nouveau régime, considère le dossier comme clos malgré les pressions de la famille. Celle-ci ne se résigne pas et le frère jumeau de Silva, Mate, va de façon obsessionnelle (d’abord avec son père, puis seul) y consacrer une bonne partie de son temps, parcourant toute l’ex-Yougoslavie et au-delà.

Au fil du roman, qui s’étend sur une trentaine d’années, on voit s’éclairer la personnalité de Silva et sa part d’ombre que ne connaissait pas sa famille. Mais les causes de sa disparition restent mystérieuses et taraudent ceux qui l’ont connue.

Un « bourbier clérical et étriqué  »

La guerre s’achève et la Croatie nouvelle se construit. Il y a eu des morts mais aussi des ascensions sociales fulgurantes. À Misto, c’est désormais l’ère du capitalisme et des touristes. Mais Mate est toujours en quête de sa sœur.

Quant à Gorki, il travaille désormais dans l’immobilier touristique. La nouvelle société lui déplait mais il s’est « adapté ». Il revient à Misto pour acquérir des terrains pour la firme irlandaise qui l’emploie et obtiendra ensuite de politiciens corrompus toutes les autorisations nécessaires pour y construire villas, résidences et marinas. Son retour à Misto ravive en lui le souvenir de Silva et l’amertume d’une enquête inachevée.

En dépit de quelques longueurs et maladresses, ce polar mérite d’être lu. Au-delà de l’enquête, il décrit avec talent certaines des réalités de la Croatie indépendante, à proximité de la ville historique de Split, une localité qui, au-delà, du tourisme reste par bien des côtés un « bourbier clérical et étriqué » pour reprendre une expression de Pavičić dans une interview.