Publié le Dimanche 30 juillet 2023 à 11h00.

Les enfants Oppermann, de Lion Feuchtwanger

Éditions Métailié, 2023, traduction Dominique Petit, 400 pages, 23 euros.

Ce livre a été publié pour la première en 1933, alors même que son auteur avait déjà quitté l’Allemagne, et est paru en français en 1934. Depuis la Seconde Guerre mondiale, il était indisponible en français. Merci aux éditions Métailié de l’avoir sorti de l’oubli !

Les dangers de la domination nazi

Lion Feuchtwanger, auteur de livres à succès — et rédacteur avec Berthold Brecht de la revue anti­fasciste Das Wort — déclarait avec les enfants Oppermann, comme le dit la quatrième de couverture, vouloir « informer le plus rapidement possible ses lecteurs du vrai visage et des dangers de la domination des nazis ». Pas franchement une lecture de plage distrayante et légère !

Plutôt qu’un roman, on pourrait voir ce livre comme une autofiction, un récit familial où tout est vrai, où tout est vu avec la lucidité et l’aveuglement de celles et ceux qui vivent l’événement. La tragédie s’installe pour les petits-enfants d’Immanuel Opperman, et même ses arrière-petits-enfants, parce que l’Allemagne sombre… à cause des völkisch, terme qui désigne les nationalistes revanchards ralliés au Führer bien plus souvent que le mot nazi.

Un peu avant l’incendie du Reichstag et après

Chacun à sa manière, Gustav, le dandy littéraire, Martin, l’héritier de la fabrique de meubles, Edgar le chirurgien et Klara, doivent passer de l’indifférence ou même de la désinvolture à la survie face à la dégradation de la condition juive (et de tous les opposantEs) dans l’Allemagne de 1932-1933 dans les semaines qui précèdent l’incendie du Reichstag le 1er mars. 

Aucun personnage ne vous laissera indifférent, surtout pas le vendeur de meubles Wolfsohn, logé avec sa famille dans une de ces cités ouvrières de la Berlin des années 1930. Tous ont un rôle, une fonction autant émotionnelle que politique. Tous pèsent le pour et le contre : partir ? rester ? aller en Palestine ?

Si les hommes sont souvent mieux (et plus) décrits que les femmes (un brin trop effacées), c’est peut-être parce qu’on les voit perdre d’abord leur statut social (de bourgeois, il est vrai, mais pas tous), avant de tout perdre. 

Et dans ce processus, ce livre apparaît presque comme un document historique qui se resserre sur le destin de Gustav, au point qu’il devient le seul personnage dans le dernier quart du livre, comme s’il incarnait la tragédie en cours pour toutes et tous. Et Gustav de répéter comme pour prévenir le monde entier : « Ils ont brisé le mètre étalon du monde civilisé ». À méditer quand l’Europe aujourd’hui semble ouvrir la porte à ses vieux démons.