De Nicolas Mathieu, Actes Sud, 425 pages, 21,80 euros.
Le prix Goncourt 2018 résonne incroyablement avec le mouvement de révolte des Gilets jaunes. C’est en effet cette France-là, celle des oubliéEs, où « chaque plaisir nécessitait du carburant, le boulot, les courses, la nounou, le ciné », qui est magistralement décrite.
Adolescents en révolte
Le roman se déroule sur six années, de 1992 à 1998, centré sur des adolescents en révolte contre cette vie mesquine, étriquée menée par leurs parents, dont ils ne veulent pas. « Anthony détestait la famille. Elle ne promettait rien qu’un enfer de reconduction sans but ni fin ». Anthony, le héros, a 14 ans quand s’ouvre le roman. Issu d’une famille cassée net par le licenciement du père, et le naufrage qui en résulte, il se débat pendant ces six annés dans des barbelés d’une vie sans échappatoire.
Avec ses amis, Hacine, Steph et Clem, ils passent leurs étés à la recherche d’un plan soirée, joint ou drague. Ces adolescents essaient à toute force de goûter inténsément aux plaisirs de la vie. Avant de se fracasser au contact de la réalité sociale. Finalement, seuls certains privilégiés s’en sortiront.
La trame est bien sûr sombre, mais le roman ne l’est pas du tout. Il réussit le tour de force de ne jamais être misérabiliste, de se dérouler sur un rythme soutenu, de nous attacher à tous ces personnages.
Un réalisme saisissant
L’univers décrit est d’un réalisme saisissant : « le soleil plongeait derrière le centre commercial. Une tristesse mercantile montant de terre ». Il montre très justement comment « des solidarités centenaires se dissolvaient dans le grand bain des forces concurrentielles ». Et insiste sur le fait qu’« à chaque fois qu’un pauvre type revendiquait une existence moins lamentable, on lui expliquait par A plus B combien son désir de vivre était déraisonnable. Il risquait d’enrayer la marche du progrès. »
On croirait entendre nos dirigeants actuels, ceux pour qui tous ces laissés-pour-compte ne sont rien, ne savent pas s’adapter, loin de l’esprit d’entreprise des « start-upers » chers à Macron. La réalité du travail est au contraire évoquée, l’intérim, les petits boulots, le mépris quotidien, le racisme.
Et puis, parenthèse enchantée, la Coupe du monde gagnée par la France en 1998, qui fait dire à l’auteur lors de la demi-finale : « Il y avait eu le baptême de Clovis, Marignan, la bataille de la Somme. Et là, France-Croatie ». Le roman se termine ironiquement sur l’illusion de l’unité et de la fraternité de ce match de foot.
C’est tout ce peuple décrit dans le roman qui se retrouve aujourd’hui dans un vaste mouvement de révolte et de contestation sociale.
Régine Vinon