Publié le Mercredi 3 mars 2021 à 12h31.

Lipanda, de Bazil

Éditions Bang, collection CAOS 160 pages, 20 euros.

Le 30 juin 1960, il y a un peu plus de 60 ans, était proclamée l’indépendance du Congo belge. Lipanda (qui signifie « indépendance » en lingala, une des principales langues congolaises) est une BD fictive qui s’appuie néanmoins, avec humour, sur les événements tragiques qui menèrent à l’élimination par l’impérialisme du Premier ministre et dirigeant pan­africain Patrice Lumumba au profit de Mobutu. Pour nous faire assister et mieux comprendre le conflit, qui mieux que le grand reporter Pimpin qui déclare dès son arrivée : « Le Congo n’a jamais été dans mes préoccupations… »1

« La Frite du soir » envoie son meilleur reporter à Léopoldville

Bruxelles, 1959. Pimpin, journaliste belge de grande notoriété, est expédié en vacances au Congo, alors colonie belge. En réalité, Pimpin, après ses reportages à succès en Russie et en Afrique du Sud, manque d’inspiration. Son rédacteur en chef, Alain Mousart, en l’envoyant dans un pays en pleine effervescence indépendantiste, espère qu’il va produire de nouveaux reportages réactionnaires qui mettent en avant les bienfaits de la colonisation belge pour la civilisation. En effet, pour Pimpin, « les Congolais ne savent pas se gérer eux-mêmes… » ou bien encore : « Les Noirs dirigeant un État sans l’aide des blancs, ce n’est pas crédible ». Mais les indépendantistes et la gourmandise de son chien Mildiou vont lui permettre de voir une autre réalité.

La lutte pour l’indépendance du Congo

À peine installé au Léopold Palace, Pimpin rencontre le correspondant local de son journal. Un ex-Rexiste2 qui traficote avec les agents de la Sûreté de l’État répondant au nom de De Smeek et Duchmol. Tous aimeraient bien amener Pimpin dans une nouvelle croisade contre les « communistes nègres », sauf que Mildiou, par l’odeur alléchée, repère les indépendantistes en plein vol de « fricadelles »3 et se fait recueillir par la belle Kitoko. Parti à la recherche de son chien, Pimpin tombe aux mains des indépendantistes et de leur chef Patrick Lumba-Umba (Patrice Lumumba). Les indépendantistes ont un plan pour Pimpin. Se servir de sa notoriété en Occident pour lui faire raconter leur lutte pour des droits légitimes en le faisant passer pour un infiltré au sein du MNC (MNLC pour son vrai nom). Pimpin refuse d’abord puis se laisse convaincre par Kitoko dont il est tombé amoureux.

Une année tragique pour le Congo

Lumba-Umba est passé de nationaliste modéré à une position beaucoup plus radicale qui oscille entre Gandhi 4 et Fidel Castro. Ce dernier a d’ailleurs dépêché son fidèle Miguel (le Che évidemment) pour l’assister. Le gouvernement belge joue sur les rivalités entre ethnies pour affaiblir Lumba-Umba4. Il envoie des troupes au Katanga pour soutenir le fantoche Tshasumbé (Moïse Tshombe), il soudoie aussi le président Kava Zulu (Kasa-Vuvu de son vrai nom) pour qu’il destitue Lumba-Umba. L’ONU s’en mêle, ainsi que – et surtout – la CIA qui joue la carte « Mobulu » (Mobutu, le général en chef de l’armée de Lumumba qui deviendra dictateur à vie). Tous les protagonistes de la tragédie vont se retrouver sur la route du Katanga pour une fin tragique et provisoire car il y aura un tome 2.

Une technique efficace qui allie la ligne claire à celle de Marcinelle !

Bazil (28 ans) est originaire de Besançon mais a fait toutes ses études à Liège, où il a obtenu un master aux Beaux-Arts. Il s’est exercé dans le monde du fanzine belge avant de publier l’excellent American Dream, qui le fit reconnaître dans le monde de la BD.

Bazil utilise les armes de la BD classique pour mieux l’adapter à son récit. Il épouse à la fois la technique dite de la ligne claire dans le découpage de ses planches (quatre bandes divisées en trois ou quatre cases bien bordurées) et une représentation des personnages à la Marcinelle c’est-à-dire avec des gros nez et des phylactères (bulles) arrondis. Le trait très humoristique caricature à merveille les personnages, qu’ils soient européen ou africain, homme ou femme. L’ensemble dessin et couleurs reste très minimaliste pour assurer la fluidité d’un récit qui relate une tragédie avec des personnages de fiction ou non, mais tous connus des lecteurs. Bazil touche la bêtise colonialiste là où ça fait mal et c’est particulièrement efficace.

Bang Éditions est une maison d’édition de bandes dessinées basée à Barcelone, en Espagne. Elle publie des titres d’auteurs hispano-américains et franco-belges en Espagne et en France. Nul doute que le sujet colonial traité ici, même avec humour, sera rapidement classé comme « islamo-gauchiste » par Blanquer et Vidal. Ce qui renforce encore le besoin de lire et faire connaître la BD Lipanda.

  • 1. Toute accusation de ressemblance avec le célèbre petit reporter du journal le Petit 20e  ne pourrait être qu’un montage pro-impérialiste provenant du château de Moulinsart.
  • 2. Le Rex est un parti fasciste belge qui collabora avec l’occupant nazi.
  • 3. La fricadelle est un plat national flamand se présentant sous la forme de saucisses et de boulettes.
  • 4. Lumba-Umba a créé une brasserie de bière 100 % congolaise et fait boycotter la bière belge d’importation tout comme Gandhi l’avait fait avec les tissus britanniques.