Publié le Mercredi 16 octobre 2019 à 16h16.

À lire : Charlot déprime, suivi de Un rêve de Charlot, de Grégoire Bouillier

Librio, 122 pages, 5 euros.

Parmi les nombreux livres édités sur les Gilets jaunes, celui-ci dénote. Il est très court, pas cher, il s’agit de deux textes littéraires, formidables textes, marrants, d’une grande puissance poétique. Et politiques à leur manière. Nous connaissons Grégoire Bouillier1, magistral dans son roman-fleuve le Dossier M, paru en 2017 et 2018 (2 tomes, 1 800 pages). « Je ne parle pas de moi, je pars de moi. J’ai mon point de départ, c’est bibi. Mais l’objet c’est toujours le monde. C’est toujours les autres. C’est toujours les phénomènes, les mystères de la vie, de l’amour etc. Il y avait un mystère, c’était celui des Gilets jaunes. » dit-il dans une interview à France Culture.

Pas voir ce que je pense mais penser ce que je voisLe ton est donné d’emblée : « Dès qu’il s’agit d’en avoir par-dessus le marché, j’éprouve une petite joie dans mon cœur. C’est comme ça. Mon petit diable surgit immédiatement de sa boîte pour faire des bonds partout en agitant les bras dans tous les sens tel un naufragé sur une île. Il sort de sa poche tous les grands mots du dictionnaire Maitron et les jette en l’air comme des paillettes d’or. C’est lui qui m’a suggéré (le mot est faible) d’écrire un texte. » Un peu plus loin : « Écrire ? Mais écrire quoi ? […] Pas voir ce que je pense mais penser ce que je vois. […] Écrire consiste à sortir, ce coup-ci. À aller dehors voir ce qu’il en est réellement. Si j’y suis ou pas.» Avec son copain Lolo, photographe, il ira le samedi 8 décembre sur les Champs-Élysées. Et il racontera. « Raconter, pas m’exprimer. Raconter ! »

Ça a à voir avec James BaldwinEt il se fait violence pour tenir ce programme, tenir à distance les idées toutes faites. Déployer toutes les antennes. Puis écrire. Et découvrir (« petit orgasme au-dessus de la ceinture... ») que sous « l’Arc de triomphe »  se cache un anagramme : « Charlot déprime » ! Deux jours après, Charlot/Bouillier fait un rêve. I have a dream. Pardon, non, pas Martin Luther King, non, « Ça a à voir avec James Baldwin » et le film Eyes Wide Shut. Il note tout ce qu’il peut. Et se remet à écrire avec ce souci de « vraisemblance ambiguë » et avec de si précieuses découvertes au bout. Le rêve et la fiction comme moyens d’exploration, c’est confirmé !

Fernand Beckrich

  • 1. Voir l’Anticapitaliste n°439.