Publié le Mercredi 9 juin 2021 à 14h19.

Mort d’un voyageur : une contre-enquête, de Didier Fassin

Éditions du Seuil, 176 pages, 17 euros.

Didier Fassin, anthropologue, sociologue et médecin, entraîne les lecteurEs à se pencher sur le meurtre d’Angelo, dans un récit subjectif qui navigue entre histoire policière et analyse sociologique, pour illustrer la manière dont la justice française véhicule des pratiques et des idées racistes.

Se battre pour la justice

La trame de cette contre-enquête, qui nous raconte une histoire vraie, est simple. Un homme de 37 ans appartenant à la communauté du voyage est abattu dans la ferme familiale par des gendarmes alors qu’il n’a pas réintégré la prison après une permission de sortie. L’intervention des gendarmes est brutale, totalement disproportionnée et dérape rapidement, sous les yeux de plusieurs membres de la famille.
L’enquête judiciaire va conclure à un non-lieu, confirmé en appel. La sœur d’Angelo va mener un long combat pour dénoncer cette décision et réclamer la vérité, appuyée par des collectifs de soutien et des familles d’autres victimes : Lamine Dieng, Wissam El-Yamni, Adama Traoré… C’est elle aussi qui va solliciter Fassin pour réaliser ce livre.

Pour la dignité

Fassin relate les faits en transcrivant huit témoignages : les militaires, qui invoquent la légitime défense, les parents présents sur les lieux, qui la contestent. L’auteur reprend une à une toutes les pièces du dossier judiciaire et les points de vue des protagonistes, offrant ainsi aux victimes ce que la justice n’a pas fait : une prise en compte égale de leur parole, sans a priori.
En croisant les témoignages et les expertises, on parvient à une lecture des faits qui contredit celle des forces de l’ordre et remet en cause le traitement de la justice dans cette affaire mais aussi son fonctionnement en général. Face au racisme d’État – préjugés des policiers qui viennent l’arrêter, inégalité face aux institutions étatiques pour la famille après le crime, discrimination de la part de la justice – Angelo, membre de la communauté du voyage, n’a eu aucune chance de survie ni sa famille d’obtenir réparation.
Ce récit devrait contribuer à rendre aux victimes de ce racisme un peu de ce dont la société les prive : la dignité. Et peut-être leur ­permettre, à nouveau, de respirer.

Publié dans le n°369 de solidaritéS (Suisse).