Galerie Karsten Greve, 5 rue Debeylleme, Paris 3e, entrée libre, du mardi au samedi de 10 heures à 19 heures, jusqu’au 29 juin 2024.
Une exposition exceptionnelle constituée d’une sélection d’œuvres sur papier : traits, taches et cercles blancs sur noir ou au contraire noirs sur blanc, fils de crin, agglomérés par enroulements sur une corde tendue, voire lignes de ponctuations avec une association de linéaires, des traces et des traits noirs sur de très longues bandes de papier ou au contraire sur des fragments proches de la miniature.
Une sismographie intime du temps
Le vocabulaire graphique de Bloch est très épuré. Il se réduit à l’essentiel, à la matrice du dessin, à son impulsion première, voire à ses constituants élémentaires. Son art se conjugue entre le plein et le vide, joue de la répétition du geste et de ses silences mais aussi de son tremblement et de ses aléas. On pourrait évoquer le rythme et les ponctuations d’un livre d’heures qui se dispenserait de l’image, un travail de Pénélope qui dessinerait une sismographie intime du temps, dont les jeux d’ombre et de lumière, les minuscules arabesques du fil ourleraient les vibrations et les variations.
Entre l’infime et l’infini
Il faut dire que le galeriste par la subtilité de sa présentation a en quelque sorte sublimé l’œuvre, lui donnant toute son ampleur jusqu’à nous faire appréhender son intimité, et ce va-et-vient entre l’infime et l’infini. L’accrochage fait ressortir avec une intelligence impressionnante ce que l’œuvre de Pierrette Bloch porte de silences et de murmures, de variations et de contiguïté, entre césures et scansions. Il nous fait ressentir son art de jouer du peu pour atteindre le grandiose. Les « phrases », les partitions et les portées du dessin, leurs respirations en creux, les « blancs », silences et entre-deux qui les lient, irriguent leur présence ténue et intense. Elle va de pair et découle même de la retenue de leur inscription, avec une délicatesse engendrant des stridences tels des éclats dans la brume d’une aurore.
Le galeriste réussi à donner forme à la « vérité de son œuvre » ; il nous fait entrer en elle et nous permet d’être dans ce qui est à la fois félicité et trouble, sérénité et lâcher-prise. La qualité exceptionnelle de cette exposition en fait probablement la plus belle que j’ai pu voir de Pierrette Bloch. Elle met à jour l’intelligence et la subtilité dont l’œuvre est porteuse, nous offrant, avec générosité et intelligence mais sans ostentation inutile, la grandeur de cette artiste qui dans sa singularité est une des grandes de notre temps.
Philippe Cyroulnik