Bien connu des services de police, Dominique Manotti, Folio policier, Gallimard, 2011, 240 pages, 5,95 euros.Après les règlements de compte liés au trafic de drogue, voilà Marseille devenu le théâtre de la grande tragédie policière. Alors que l’État annonçait le renforcement des effectifs des forces de l’ordre dans un certains nombre de quartiers prioritaires, avec comme objectif de ramener l’ordre républicain, la brigade anticriminalité (BAC) des quartiers Nord se retrouve éclaboussée par une sombre histoire de corruption. Après l’affaire Neyret à Lyon, voilà qui commence à faire tâche et n’est pas vraiment fait pour rassurer le citoyen sur l’intégrité des forces publiques. Mais tout ceci est-il vraiment une surprise ? Toujours est-il que cela nous fournit une excellente occasion de parler du roman que Dominique Manotti a consacré à l’institution policière. Bien connu des services de police est construit comme une immersion au cœur d’un imaginaire commissariat de banlieue, le commissariat de Panteuil. De façon symptomatique, le récit s’ouvre sur les magouilles nocturnes de la BAC de Panteuil dans un parking désert ou presque, en bordure de périphérique, puisque la petite équipe vient y récupérer sa part du commerce sexuel qu’elle protège. Leurs activités interlopes ne sont pas officielles, bien sûr, mais comme l’évoque le titre, comme beaucoup d’autres choses, elles sont bien connues des services de police. Mais les enjeux politiciens autour de la sécurité et du renouvellement urbain prennent le pas sur tout le reste. Une réalité qu’incarne parfaitement la commissaire Le Muir, femme ambitieuse qui gravite dans les cercles du pouvoir et est invitée dans les cercles de réflexion du sarkozysme en pleine ascension. En plaçant son roman au cours de l’année 2005, l’auteure propose aussi une explication à l’embrasement des banlieues, produit d’une sorte de « stratégie de la tension » élaborée au plus haut niveau de l’État. Au milieu de ce panier de crabes, le lecteur rencontre de jeunes recrues qui prennent leur premier poste. Mal encadrées, trop vite formées, la confrontation avec la réalité est brutale. Ils sont loin les idéaux de justice pour tous, surtout quand ils découvrent que les délinquants ne sont pas forcément ceux que l’on croit. Certains s’adaptent rapidement, d’autres s’efforcent de conserver leur intégrité, quelques-uns craquent. L’auteure parvient à traiter ce quotidien policier sans caricaturer, mais sans rien laisser dans l’ombre pour autant: sexisme, homophobie, racisme cohabitent avec le dévouement républicain et l’intégrité. L’ensemble de l’ouvrage dresse un portrait sans concession de l’institution policière et de ses dérives, et nous montre un monde dans lequel ce sont rarement les gentils qui gagnent. Mais ce réquisitoire sans appel, qui se place du côté des exploités1, Manotti parvient à le dresser en traitant l’ensemble de ses personnages avec une profonde humanité. Et elle poursuit par là son travail de critique sociale sans concession qu’elle a inauguré avec Sombre sentier, marquantHenri Clément1. On relira en complément l’entretien avec Dominique Manotti, recueilli par Dominique Angelini, paru dans le n° 129 de Tout est à nous ! du 22 décembre 2011.