Publié le Dimanche 24 novembre 2013 à 11h07.

Rosa Luxemburg, enseignante

Le travail collectif d’édition des œuvres complètes de Rosa Luxemburg, entamé par les éditions Agone et Smolny, suite à la publication par le collectif éditorial toulousain de l’Introduction à l’économie politique, se poursuit avec ce second tome, centré autour de l’activité de Rosa Luxemburg en tant qu’enseignante au sein de l’école du parti social-démocrate allemand. Ces textes de Luxemburg n’avaient jamais fait l’objet d’une édition systématique et se trouvaient dispersés dans différents types d’ouvrages, dont certains sont aujourd’hui indisponibles. Il faut donc saluer cette entreprise à dimension collaborative et qui s’apprête à livrer un certain nombre d’inédits en français – sous format papier, avec une extension à venir en format informatique, permettant de mettre à disposition un ensemble de documents complémentaires.

Ce volume est structuré en trois parties. La première regroupe les interventions de Luxemburg, en congrès ou sous forme d’article, au sujet de l’éducation politique ouvrière. La seconde présente les articles qu’elle a rédigés à l’occasion de la parution de volumes des œuvres complètes de Marx. Ces quatre textes restent une invite toujours très actuelle à se confronter aux textes originaux de Marx – et à actualiser ses analyses. Luxemburg en donne elle-même l’exemple dans les textes réunis dans la dernière partie, qui livre un ensemble de matériaux liés à la fois à ses enseignements et à ses recherches, dont les conclusions lui serviront à développer sa fameuse Introduction. On accède ainsi au processus de son élaboration théorique, à travers les différents plans de travail ainsi que les notes de cours. Dans cette perspective, la lecture des cours consacrés à l’analyse de l’esclavage par exemple se révèle passionnante.. 

Former des militants autonomes

Au-delà de la dimension théorique du travail de Rosa Luxemburg, cette publication montre combien elle liait son activité théorique à une activité d’enseignement et de transmission militante, ce qu’elle explicite clairement dans son article « Ecole du syndicat et Ecole du Parti », précisant ses propres conceptions pédagogiques : « La discussion, l’échange libre des élèves avec le professeur sont primordiaux, c’est la condition première d’un cours fécond. » Car selon Luxemburg, l’enseignant du parti n’est qu’un « compagnon de lutte sur une chaire », sur un pied d’égalité avec ses élèves tout en poursuivant son activité militante – c’est d’ailleurs pour elle une condition sine qua non. Et surtout, il a vocation à former des militants autonomes : « Un institut de formation pour des prolétaires engagés dans la lutte des classes doit considérer comme sa tâche principale la formation à une pensée systématique et indépendante, et non l’ingurgitation mécanique d’une somme de savoir positif. »

Dans le prolongement des cours, elle insiste sur l’importance de la lecture et donc sur la nécessité pour l’élève de se confronter aux sources, en premier lieu aux textes de Marx. Les leçons restent pleinement actuelles : « Montrer un peu moins d’enthousiasme éperdu dans la résistance aux attentats cléricaux contre l’art bourgeois ou à propos de la fondation de coopérative de consommation, et s’efforcer en échange, avec plus d’enthousiasme, de comprendre les racines historiques, philosophiques et économiques de la lutte des classes de la social-démocratie. » La postface insiste justement sur le rôle central joué par la critique de l’économie politique dans les conceptions de Luxemburg.

Si le lecteur perçoit bien grâce à ce volume les différents niveaux de l’activité de Luxemburg en tant qu’enseignante, la seule lacune tient au trop petit nombre d’éléments factuels concernant l’école du SPD, ses élèves et ses développements – la plupart des sources citées sur cet aspect étant en allemand. Ainsi, quelques précisions sur les fonctions occupées par les élèves à leur sortie de l’école auraient été bienvenues, pour mieux saisir les contradictions internes du parti, entre une certaine vigueur théorique et une bureaucratisation de plus en plus affirmée.

Espérons en tout cas qu’avec ses nombreuses qualités, cette publication permettra aux militantEs en France de se familiariser davantage avec l’histoire du mouvement ouvrier allemand et ses débats – aujourd’hui largement méconnus.

 

À l’école du socialisme, Œuvres complètes – tome II, Rosa Luxemburg, traduit de l’allemand par Lucie Roignant, Agone / Smolny, 2013, 272 pages, 22 euros.

Henri Clément