Publié le Samedi 3 septembre 2016 à 13h45.

Simon Leys, navigateur entre les mondes

Philippe Pacquet, Gallimard, 2016, 25 euros. 

Cinquante ans après le début de la prétendue « révolution culturelle », la publication de cette biographie de Simon Leys tombe à point.

Pierre Rickmans alias Simon Leys (1935-2014) a été le plus grand sinologue du 20e siècle et, en plus d’un admirable écrivain, il a été à contre-courant pendant des années le plus grand pourfendeur de la dictature maoïste. En effet, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, il était extrêmement difficile de trouver en France ou ailleurs une critique anti-bureaucratique de Mao. Tous les « intellectuels » de gauche ou de droite faisaient l’apologie du régime chinois. Notre propre courant se limitait souvent à critiquer la théorie du « socialisme dans un seul pays » ou bien la politique internationale de Mao sans dénoncer les massacres commis par les maoïstes contre le peuple et la classe ouvrière chinoise. Simon Leys fut donc indispensable pour, à l’instar d’Orwell dans les années 1930-1940, instruire celles et ceux qui voulaient savoir. Rien ne l’y prédisposait, lui le belge d’origine bourgeoise et catholique pratiquant.

Étudiant en droit et histoire de l’art à l’université catholique de Louvain, il participe en 1955, à l’âge de 19 ans, au voyage d’une délégation de jeunes Belges invités durant un mois en Chine et rencontre Chou En-lai. Ce séjour le rend favorable à la Chine socialiste, mais il avertit que sa méconnaissance de la langue chinoise ne lui permet pas de donner un avis objectif. La Belgique ne reconnaissant pas la Chine de Mao, l’université catholique de Louvain enrage mais ne l’expulse pas. En tout cas, Pierre Rickmans consacrera sa vie à l’étude de la Chine. Il termine ses études à Louvain tout en apprenant le chinois. En 1956, il parcourt à pied le Congo et découvre les méfaits du colonialisme belge. En 1959, il part à Taïwan perfectionner la langue et se former aux beaux-arts chinois (peinture, calligraphie, littérature). La répression du soulèvement tibétain par la Chine est applaudie par le Kuomintang à Taïwan, mais ce n’est pas l’avis de Rickmans qui écrit : « Le Tibet est chinois comme l’Algérie est française »...

Après Taïwan, Simon Leys refuse le service militaire et opte pour l’objection de conscience. Il se rend à Singapour pour enseigner. Il est expulsé de l’île pour « activités communistes » (en fait il commentait en classe le Quotidien du peuple). Hong Kong deviendra alors son refuge. Il y vivra en communauté à Kowloon avant d’épouser une chinoise, Hanfang. Son rêve était d’obtenir une chaire en Chine, mais le début de ladite « révolution culturelle » allaient en décider autrement. L’assassinat d’un journaliste chinois en fuite sur son pas de porte le révolte et le pousse à prendre parti. Pour ne pas oblitérer ses chances d’aller en Chine, Rickmans devient alors Leys (un nom emprunté au personnage de l’écrivain sinologue Victor Segalen).

Une critique de gauche du maoïsme

Les réfugiés chinois anti-­bureaucratiques sont la principale source d’information de Leys en plus des informations officielles. Il dira que sa critique du maoïsme a été faite d’un point de vue de gauche, dénonçant son caractère « féodal-­rétrograde », ses méthodes sanguinaires héritées du Palais et l’imposture idéologique du maoïsme. Sa trilogie les Habits neufs du président Mao, Ombres chinoises et Images brisées sera refusée par les grandes maisons d’édition, et c’est Champ Libre à Paris qui l’accueillera.

Leys était né et allait devenir un écrivain trilingue (français, anglais et chinois) de réputation mondiale. Encore un an en République populaire de Chine sous son nom en 1972, et il accepta un poste dans une grande université australienne. Il allait pouvoir se consacrer aux œuvres du révolutionnaire Lu-Xun, aux peintres classiques et modernes chinois, aux œuvres de Joseph Conrad et de Georges Orwell (qu’il admirait profondément) et à la mer. Ecœuré par le mercantilisme de l’université, il démissionne et, à la fin de sa vie, lutte contre le racisme d’État belge qui refusait de donner la nationalité à ses enfants.

Une bien belle biographie, très complète et peut-être trop « hagiographique », comme toutes les biographies. Qui fera la critique de gauche de Simon Leys ?

Sylvain Chardon