Publié le Jeudi 12 octobre 2017 à 14h49.

Théâtre : Stadium

De Mohamed El Khatib. « Fondamentalement, qu’est-ce qui différencie un public de théâtre d’un public de football ? Je veux dire hormis la tenue vestimentaire ? » (Gilles Deleuze). 

Faire se rencontrer les publics du stade de football et du théâtre : tel est le pari de Mohamed El Khatib avec la pièce Stadium qui, après des représentations en septembre et début octobre à Paris, commence désormais une tournée en banlieue et dans les régions. 

Absentes de la salle, les classes populaires sont sur scène

Un pari qui résulte tout d’abord d’un constat d’échec de la part de celui qui, avant de devenir auteur et metteur en scène, a été footballeur de haut niveau et thésard en sociologie : dans les théâtres les plus renommés, on ne rencontre pas, ou alors très marginalement, de public issu des classes populaires. Mohamed El Khatib tire un bilan critique des politiques publiques dans le domaine de la culture et fait notamment le constat de l’absence de démocratisation de la scène institutionnelle. D’où cette gageure : à défaut de faire s’asseoir les classes populaires dans les gradins des théâtres, les faire rentrer… par la scène ! 

Avec Stadium, ce sont ainsi une soixantaine de supporters du Racing Club de Lens, club mythique du Nord dont le public est régulièrement désigné – à raison – « meilleur public de France », qui défilent sur scène et/ou sur écran vidéo. Ils et elles racontent leur passion pour un sport et pour un club, mais aussi, au prisme de cette passion, leur vie. « Le travail pour Stadium a consisté à se rapprocher des classes populaires pour comprendre comment cette passion structure des vies entières à l’échelle d’un territoire », explique Mohamed El Khatib. 

Ni mépris de classe ni manipulation

Pour écrire et mettre en scène Stadium, il aura fallu pas moins de deux ans : une immersion dans la ville, en commençant par les tribunes du stade, des rencontres avec des supporters de tous âges, des deux sexes, et de diverses catégories sociales, des dizaines d’heures d’entretiens et des discussions… qui ont débouché sur une coécriture entre Mohamed El Khatib et les « acteurs » de Stadium. « Le temps de l’immersion a été la condition nécessaire pour que se tisse un lien de confiance et qu’ils acceptent de venir avec nous sur scène prolonger la rencontre »

Et c’est en effet d’une rencontre dont il s’agit, entre, d’une part, un public souvent empreint de clichés sur les classes populaires et, d’autre part, une formidable troupe de supporters qui ne s’en laissent pas conter et qui, contrairement à ce qu’ont pu écrire certains critiques parisiens, ne sont exhibés ou manipulés par personne.

Car si au tout début de la pièce on peut ressentir un léger malaise et craindre un spectacle qui ferait rire des classes populaires à leurs dépens, au bout de quelques minutes le doute n’est plus permis : nous ne sommes pas devant une émission de téléréalité transposée sur une scène, et ce sont bel et bien les LensoisEs et leur complice Mohamed El Khatib qui jouent avec le public, qui le font vibrer, rire, pleurer, chanter.

Parler plutôt que d’être parlés

Yvette, 85 ans et un maillot du RC Lens floqué à son nom, Georges, visage buriné et drapeau sang et or géant cousu par sa mère aujourd’hui décédée, Clémentine, « fils que son père n’a jamais eu » qui constate amèrement qu’un public issu d’une région historiquement communiste pourrait chanter autre chose que du Michel Sardou : les protagonistes de Stadium, parmi lesquels on trouvera aussi un arbitre, une mascotte, un prêtre, un maire, des pom-pom girls ou encore un président de kop, se racontent, racontent un club, racontent une région et, pour reprendre une formule de Pierre Bourdieu, parlent plutôt que d’être parlés.

« Pourquoi demanderais-je à un acteur de prendre la parole à la place de quelqu’un qui la détient au plus vrai ? », interroge ainsi Mohamed El Khatib, dont la mise en scène d’une finesse et d’une justesse à toute épreuve permet de battre en brèche, sans voyeurisme ni angélisme, les clichés et les fantasmes concernant les classes populaires, sans verser pour autant dans un discours ­militant stéréotypé.

Le propos de Stadium n’est jamais caricatural, même lorsqu’il devient ouvertement politique – comme lorsque sont évoquées la criminalisation du supportérisme ou la montée du FN –, et la pièce interroge non seulement le public, mais aussi le théâtre lui-même. Mohamed El Khatib le revendique : « Il ne tient qu’à nous de rendre nos théâtres un peu plus joyeux, plus accueillants et plus proches des enjeux qui traversent la société. » Avec Stadium, pari réussi.  

Julien Salingue 

Plus d’informations, dates et lieux de représentations sur le site du collectif Zirlib : http ://www.zirlib.fr/agenda.html