Film français, 1 h 36 min, sorti le 16 février.
Après la Loi du marché qui raconte la galère d’un chômeur, et En guerre, à propos de la lutte contre la fermeture d’une usine, voici Un autre monde, qui raconte la préparation d’un plan de licenciement dans une multinationale. Une sorte de trilogie, construite au fil des films, autour du même acteur principal, Vincent Lindon, comme un même personnage dans plusieurs peaux, mais avec la même souffrance, la même dignité, la même conscience ou encore la même révolte plus ou moins révélée contre un monde sans pitié.
Un cadre dans la tourmente capitaliste
Ce monde, c’est celui du marché qui domine et qui s’impose, c’est celui d’un capitalisme inhumain et broyeur de vies, une grosse machine qui ne fait pas de sentiment. Le nouveau film de Stéphane Brizé décrit une nouvelle fois avec précision, avec une rigueur « scientifique », les mécanismes de la domination, ceux de la logique froide patronale. Cette fois la victime se trouve du côté de la machine qui écrase. Un directeur d’usine ne peut plus continuer à être le simple exécutant de décisions qui ne lui apparaissent plus comme raisonnables ou justifiées. Alors il doute, il réfléchit, il conteste, il refuse. Il n’est pas complètement seul car d’autres cadres se posent des questions et commencent à fatiguer. Mais la pression est forte au sein des directions d’entreprises, ça ne rigole pas, tout est feutré, ça ne gueule pas comme dans une réunion syndicale ou dans une assemblée générale d’ouvriers en lutte (voir En guerre), mais c’est tout aussi violent, c’est dur, très dur. Manipulation psychologique, chantage aux sentiments, tout est bien fait pour casser le moindre questionnement, la moindre tentative de résistance.
Regard révolté sur la violence capitaliste
Scènes entre le directeur d’usine et ses cadres ou avec ses collègues dirigeants des autres usines, entre ces directeurs face à leurs dirigeants nationaux ou étatsuniens, scènes aussi entre le directeur qui commence à flancher et les syndicalistes ou les salariéEs de son usine : toutes les scènes sont terribles, d’une justesse extraordinaire, touTEs les comédienEs jouent si naturellement, c’est comme une caméra posée, comme un documentaire.
La souffrance est là en permanence, la violence aussi, qui frappent partout. Sans oublier les répercussions sur la vie privée, sur la famille, les cassures, les dégâts humains qui sont là, collatéraux et bien réels. Ce qui donne des scènes pleines d’émotions. C’est vrai pour les chômeurEs, les précaires ou les futurs licenciéEs, c’est vrai aussi pour les cadres.
Certes, ce film de Stéphane Brizé, comme ses deux précédents, est dur, mais la dignité et l’humanité restent omniprésentes. Cet « autre monde » est peut-être celui de l’entreprise si antidémocratique et si destructeur, ou peut-être celui dont on rêve, un monde sans exploitation, sans oppression, sans domination.
Ce regard révolté sur la violence capitaliste finit en douceur par un hommage à Anne Sylvestre, au générique de fin, avec sa belle chanson Les gens qui doutent. Des doutes oui mais beaucoup de certitudes aussi, notamment sur les combats anticapitalistes que nous avons à mener.