Publié le Samedi 21 décembre 2013 à 11h51.

Une histoire de l’UTCL

Théo Rival, Syndicalistes et libertaires (Une histoire de l’Union des travailleurs communistes libertaires 1974-1981), Éditions d’Alternative libertaire, 2013, 208 p., 12 €.

Fondé en 1991, le groupe Alternative libertaire s’inscrit « dans la continuité du mouvement libertaire ouvrier », dont il reprend « les idées forces, sans pour autant rejeter les acquis positifs d’autres courants ». Il affirme hautement ne pas avoir été créé « pour ressasser en boucle une doctrine anarchiste invariante, mais pour adapter le combat révolutionnaire aux données modernes de la lutte des classes ». Le groupe est issu d’une fusion entre l’Union des travailleurs communistes libertaires (UTCL) et le Collectif Jeunes libertaires (CJL) après leur autodissolution.

A priori, on pourrait craindre qu’une histoire de l’UTCL, l’ancêtre d’Alternative libertaire, publiée par les éditions d’Alternative libertaire pose un problème : l’histoire des organisations politiques par elles-mêmes, ou tout du moins par un de leur membre, édité par leur organisation, n’a bien souvent pas été une garantie d’objectivité. Or, ici, il n’en est rien !

Issu d’un master dans le cadre du Centre d’histoire sociale de l’Université Paris I, ce livre présente la première histoire d’un petit groupe de lycéens parisiens devenus de jeunes travailleurs qui militent dans l’ORA (Organisation révolutionnaire anarchiste) au début des années 1970 et vont en constituer la minorité. Après avoir subi l’épreuve du feu lors des grandes grèves de 1974 (PTT, banques) et trouvé un point d’ancrage dans un syndicalisme de lutte, ces militants sont exclus de l’ORA en avril 1976 alors que cette dernière néglige de plus en plus l’implantation en entreprises, et que des tendances anti-syndicalistes commencent à s’y faire jour. Ils forment aussitôt le Collectif pour une Union des travailleurs communistes libertaires, qui édite la revue Tout le pouvoir aux travailleurs jusqu’en 1982, puis Lutter jusqu’en 1990.

 

Une boussole : 

le syndicalisme de lutte

Selon un ordre chronologique, Rival suit l’évolution de l’UTCL comme tendance de l’ORA de 1974 à 1976, puis comme organisation jusqu’en 1981, et enfin comme réseau jusqu’en 1991. En effet, désireux d’affirmer une action libertaire dans les entreprises et de s’implanter durablement, ces militants – un petit groupe de postiers, cheminots, enseignants, employés de banque, personnels au sol d’Air France-Air Inter et, moins nombreux, à EDF et dans la métallurgie – privilégient leur engagement syndical, principalement dans la CFDT, l’« auberge espagnole de l’après Mai » 1968.

Celle-ci entame une longue chasse aux sorcières contre les partisans d’un syndicalisme de masse et de classe. Malgré leur petit nombre, les militants de l’UTCL vont réussir à tenir dans une période de recul des luttes sociales en s’appuyant sur une conception qui mêle les traditions communiste libertaire et syndicaliste révolutionnaire pour les renouveler au contact du réel, en sortant des logiques d’appareil ou de groupuscules et en s’appuyant sur les travailleurs les plus combatifs. Il en est ainsi pour deux événements d’inégale importance, la Marche pour l’unité du 1er mai 1980 et la fondation de SUD-PTT en 1988.

La riche partie documentaire qui occupe la moitié du volume, augmentée d’un cahier iconographique, présente des textes tirés de la presse de l’UTCL sur les événements évoqués et des documents et témoignages, parmi lesquels on retiendra les entretiens avec les animateurs historiques du groupe. Ceux-ci permettent d’évoquer brièvement les autres secteurs d’intervention de l’UTCL (femmes, immigration, antimilitarisme, anticolonialisme, solidarité avec les syndicats libres en URSS et en Europe de l’Est) et les grands moments de sa réflexion (colloque de 1981, « De Cronstadt à Gdansk, soixante ans de résistance au capitalisme d’Etat » ; colloque-forum sur le syndicalisme révolutionnaire : « À la recherche d’une alternative ouvrière »).

Les structures de la gauche de la CFDT qu’animent les militants de l’UTCL, ou auxquelles ils participent, sont exclues, comme à Air Inter en 1984 ou encore aux PTT en 1988. Ils participent alors à une nouvelle phase de l’histoire du syndicalisme français qui va voir l’apparition d’un nouvel acteur : Solidaires et les syndicats SUD. Un simple master ne pouvait être l’ouvrage définitif sur le sujet, mais ce livre a le double mérite d’apporter un éclairage essentiel sur la trajectoire d’une organisation méconnue et de présenter des matériaux d’importance pour une histoire de la permanence et du renouvellement du syndicalisme d’action directe dans les années 1970-1980.

 

Louis Rouquet