Éditions la Découverte, 220 pages, 20 euros.
Ce livre étonnant nous conduit sur les traces des « vieux du château ». Connu pour être « le siège d’une ordonnance fameuse qui imposa en 1539 le français comme langue d’État », le château de Villers-Coterêt est devenu, en 2022, le siège de la prestigieuse Cité internationale de la langue française. L’on sait moins que le château a été, au 19e siècle, un dépôt de mendicité, puis une maison de retraite jusqu’en 2014 !
Le fichier
Hors les cadres réglementaires, tel un passager clandestin au cœur de la galère administrative faite de dossiers et de registres, le fichier... Mis à jour lors de l’inventaire des archives du château, il recèle un peu plus de 300 petites fiches bristol concernant des pensionnaires de Villers-Coterêt, celles et ceux qui ont quitté l’établissement et que celui-ci ne veut pas voir revenir. Reine inaugure le fichier en 1956, que viendra clôturer Léon 18 ans plus tard.
L’autrice se pique au jeu de l’interprétation : pourquoi ce fichier, que partagent les fichéEs, que dit leur présence dans le fichier de leur existence recluse ? Que dit le stigmate — indésirables ! — de leur vie au château, des transgressions dont ils et elles se sont montrés coupables, des relations sociales qu’elles et ils entretenaient entre elles et eux et avec le personnel du château et sa direction.
Grands perdants des trente glorieuses
Avec beaucoup de rigueur, l’autrice dégage des traits communs — alcoolisme, violence verbale ou physique, différentes formes d’insoumission et de désobéissance, indifférence aux sanctions, etc. Mais, bien au-delà, elle donne de l’épaisseur à ces existences minuscules de vieilles personnes des classes populaires, dont le parcours, souvent fait d’épreuves et de souffrance — deux guerres, une crise, de fréquentes ruptures biographiques — les a conduites à « finir à Villers-Coterêts ».
Entre le « care » et le contrôle social
Le fichier traverse une époque qui aboutit à la révision institutionnelle de la prise en charge des personnes âgées, la fin de l’hospice, et retrace les hésitations entre, d’une part, une visée répressive pour maintenir la réputation de l’établissement et sa capacité à fonctionner, du point de vue de sa direction et de son personnel, et d’autre part une forme de pragmatisme — nombreuses sont les personnes reprises malgré leur présence dans le fichier —traduisant bien l’embarras d’une institution qui ne peut fournir d’alternative.