Entretien. Lors du Salon de l’agriculture, le NPA a distribué un document : « Libérer l’agriculture du capitalisme ». Nous avons pu défendre nos propositions pour une agriculture paysanne bio et échanger avec différents acteurEs. Nous nous sommes ainsi entretenuEs avec Thierry Jacquot, éleveur de bisons et de vaches allaitantes dans les Vosges, qui est l’un des 7 secrétaires nationaux de la Confédération paysanne.
Macron dit vouloir réformer l’agriculture, qu’en penses-tu ?
On sait que ça bouge dans les ministères et que Macron est sensible aux discours sur la transition agricole. Maintenant on connaît son cadre de pensée, le libéralisme. Néanmoins, on perçoit la volonté de transformation de l’agriculture vers un modèle plus rémunérateur pour les producteurs, plus respectueux de l’environnement et de la santé. Mais aujourd’hui les actes ne sont pas en cohérence avec les propos tenus.
Par exemple, Macron et Travert modifient certaines aides de la PAC [Politique agricole commune] au détriment de l’agriculture paysanne. L’Europe a décidé de changer les critères pour les aides aux ZDS [zones défavorisées simples]. Ça oblige à revoir la carte des aides ICHN (indemnités compensatoires handicaps naturels) : certaines communes vont sortir des aides, d’autres y entrer. C’est une catastrophe pour beaucoup de territoires. En plus, avec la nouvelle PAC qui sera mise en place en 2020, que restera t-il de ces modifications ? La Conf’ refuse que les aides soient proportionnelles au nombre d’hectares et d’animaux possédés, ce qui favorise toujours l’agrandissement des fermes. Malgré les limites néolibérales de Macron, nous attendons quand même une évolution positive. Nous avons été surpris par son discours de Rungis qui présente des avancées pour notre modèle agricole.
Le discours de Rungis ?
Macron a annoncé vouloir une meilleure rémunération du travail des paysans et plus de transparence dans la fixation des prix entre, d’un côté, les producteurs et, de l’autre, les industriels et les distributeurs. On ne peut qu’être d’accord. Mais le projet de loi qui fait suite aux états généraux de l’alimentation n’est pas contraignant pour l’aval. Quand Macron déclare vouloir relever le seuil de vente minimum, seuil en dessous duquel un distributeur ne peut vendre un produit, le retour pour les producteurs n’est pas garanti. Mais dans une agriculture capitaliste telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, cela signifie une augmentation des prix pour les consommateurs. Avec une agriculture paysanne telle qu’on la défend, avec la relocalisation de la filière agroalimentaire sur tous les territoires, les prix seraient rémunérateurs pour les producteurs sans pour autant vider les porte-monnaie des gens. Sortir de l’agriculture productiviste capitaliste c’est aussi revenir au rôle de l’agriculture : produire pour nourrir sainement la population.
Comment assurer une transition vers une agroécologie ?
C’est clair, il faut arrêter l’utilisation massive de produits chimiques car ils se retrouvent dans les sols, dans les plantes, dans la nourriture, dans l’air, c’est un grave problème de santé publique. Le modèle agricole tourné vers l’exportation contribue à ce désastre. Les intermédiaires s’enrichissent au détriment des paysans qui, pour la plupart, vivent mal de leur travail. La qualité des productions n’est plus la priorité quand il faut produire en masse, au plus bas coût. L’environnement est pollué par tous les intrants chimiques, véritable dopage nécessaire pour tirer toujours plus de rendements des terres agricoles lessivées. Il faut donc sortir de cette agriculture intensive, productiviste. Il faut également sortir l’agriculture des traités commerciaux type CETA, Mercosur, qui font de nos productions une marchandise, un objet de spéculation et de profits maximum pour le monde de la finance. Au contraire, il faut développer des partenariats solidaires avec les peuples du monde. Par exemple, ce n’est plus possible d’envoyer des poulets élevés en batterie ici, de mauvaise qualité, vers des pays africains, qui entrent directement en concurrence avec les productions locales. On note aussi une évolution des mentalités dans le monde paysan qui montre une prise de conscience des problèmes. Dans l’enseignement agricole, les pratiques et les contenus enseignés changent.
Hulot dit vouloir doubler la surface cultivée en bio…
Oui et dans le même temps le gouvernement supprime les aides au maintien en bio, après la conversion en bio, qui pourraient être ramenées à trois ans, après le paysan ne touchera plus rien. C’est une contradiction. On sait que pour le ministre Travert, l’agriculture bio c’est le développement de « l’agriculture connectée », comme on l’a vu au salon. Comme si les robots et autres machines informatiques étaient l’avenir de l’agriculture. Travert est un boulet !
La victoire à Notre-Dame-des-Landes pose une question qui nous est chère : à qui appartient la terre ?
Nous disons que celles et ceux qui ont été expropriés doivent récupérer leurs terres. Mais aussi que celles et ceux qui la cultivent, et veulent continuer à le faire, puissent bénéficier d’arrangements juridiques qui le leur permettront. Pour nous « la terre à celles et ceux qui la travaillent » doit être une réalité.
Vous sentez-vous concernés par la lutte des cheminotEs contre la réforme de la SNCF ?
Nous dénonçons la fermeture des petites lignes de chemin de fer, comme le préconise le rapport Spinetta. Le monde rural a besoin de ces lignes comme de tous les autres services publics. Les politiques de désertification des territoires ruraux continue. Tout concentrer sur les grandes métropoles est un choix politique grave.
Une question qui fâche : que penses-tu du plan « loup » de Hulot ?
Il ne satisfait personne et surtout pas nous ! Il faut comprendre que pour les éleveurs, perdre des bêtes est un choc. Quand un loup attaque une brebis, c’est tout un troupeau qui en porte les séquelles : animaux traumatisés, troubles de la fécondité des femelles… Nous sommes contre la conditionnalité des aides, pour les tirs de défense, pour le piégeage non létal, en fait pour une véritable politique de gestion de l’espèce qui tienne compte de la diversité des élevages.
Propos recueillis par la Commission nationale écologie