Publié le Lundi 16 décembre 2013 à 11h42.

Face à l’application de l’ANI : Régressions et résistances chez Renault

Le 13 mars 2013, chez Renault, trois directions syndicales (CFE-CGC, CFDT et FO) signaient un « contrat  pour une nouvelle dynamique de croissance et de développement social de Renault en France ». Sa logique : travailler plus sans gagner plus, voire en gagnant moins. Mais la mobilisation des salariés a contraint la direction à limiter ses prétentions.

Même si cette signature est intervenue trois mois après celle de l’Accord national interprofessionnel (ANI) par les confédérations CFE-CGC, CFDT et CFTC (mais trois mois avant sa transcription dans la loi dite de « sécurisation de l’emploi »), le contenu de cet accord de compétitivité démontre que le patronat n’a jamais eu l’intention de se satisfaire de l’ANI. Un texte pourtant qualifié d’historique, mais dont il ne s’encombrera pas pour aller encore plus loin dans sa stratégie de destruction sociale.

Chez Renault, la « négociation » avait commencé dès novembre 2012, dans le but d’aboutir à une signature avant le vote d’une loi qui aurait pu être trop contraignante pour l’entreprise, et aussi de peser sur son contenu. Histoire de prouver que le temps où Renault apparaissait comme la vitrine du progrès social est bien révolu, et qu’il entend être à l’avant-garde des contre-réformes du droit du travail.

Alors que la loi prétend instaurer des accords de « maintien de l’emploi » en échange de concessions allant de l’augmentation du temps de travail à salaire inchangé à la baisse conjointe du temps de travail et des salaires pour une durée de deux ans, l’accord Renault instaure le blocage des salaires pour trois ans, l’augmentation du temps de travail sans aucune compensation et la destruction de 7 500 emplois d’ici à la fin 2016. Ce qui a conduit le directeur des opérations France à déclarer : «  Un accord de cette ampleur, à 360°, n’est pas fréquent. Il illustre ce à quoi la qualité du dialogue social permet d’aboutir » !

Un « dialogue social » mené de bout en bout sous la pression d’un chantage à la fermeture de deux sites en France, en s’appuyant sur la mise en concurrence avec les sites de fabrication européens et d’Afrique du Nord de l’Alliance Renault-Nissan, plus la menace de ne pas affecter les fabrications prévues aux sites restant. Pourtant, les engagements de Renault ne sont que du vent, puisqu’ils sont liés à une hypothèse de croissance du marché automobile européen dans laquelle le constructeur pourrait progresser de 30 % en France d’ici à 2016…

Une régression sans précédent

C’est d’abord la réduction de 15 % des effectifs France, essentiellement au travers d’un dispositif de « dispense d’activité » ouvert trois ans avant le départ en retraite, avec maintien de 75 % de la rémunération. Mais aucun de ces départs ne sera remplacé. Le quart des effectifs de production devra disparaître, alors que le constructeur prévoit d’augmenter ses volumes de fabrication en France de 33 %. L’impact sur les conditions de travail promet d’être catastrophique.

Puis il y a le « blocage de la masse salariale » en 2013 et la « modération » pour 2014 et 2015, alors même que le temps de travail va augmenter en moyenne de 6,5 %. Dans certains établissements comme à Cléon, l’allongement du temps de travail va même être plus important puisque l’accord impose la suppression de 21 jours de congés pour les salariés travaillant en équipes 2 x 8. Là, l’accord va supprimer tous les congés supplémentaires concédés depuis 1997, simplement pour compenser la suppression des repos supplémentaires arrachés par les travailleurs postés de la fabrication, au cours de 40 ans de bagarres visant à la reconnaissance de la pénibilité de leur travail.

L’accord prévoit encore de renforcer l’externalisation de pans entiers de l’ingénierie, en instaurant une distinction entre des activités dites « cœur de métier » et d’autres dites « non cœur de métier ». Pour Renault, il va s’agir de conserver exclusivement les technologies dites à forte valeur ajoutée et d’externaliser toutes les autres, notamment celles qui pour lui « ne présentent pas d’avantage concurrentiel ». Résultat, 2 000 emplois vont être supprimés dans ce seul secteur.

Par contre, face à la mobilisation, Renault a dû renoncer temporairement à la mobilité obligatoire qu’il aurait voulu instaurer entre ses différents sites, suite au regroupement de toutes ses usines et filiales dans le cadre de deux pôles, un pour le Nord-est et un pour la Vallée de la Seine.

Une vraie résistance

Malgré des arrêts de travail à répétition tout au long de la négociation de cet accord, le rapport de forces est resté insuffisant pour bloquer la signature. Mais il y a eu une vraie résistance, qui s’est exprimée entre le 12 décembre 2012 et le 20 février 2013, au travers de huit appels à débrayages touchant l’ensemble des sites concernés. On a décompté jusqu’à 4 500 grévistes au niveau du groupe, le 29 janvier dernier.

Les arrêts de travail sont allés de quelques heures à la journée entière, avec blocage complet de certaines usines sur la journée, comme à Cléon ou à Douai. Sur certains sites, ils ont réuni jusqu’au tiers des effectifs présents. Parfois pour la première fois depuis la vague d’embauches de 1999 à 2005, une nouvelle génération de travailleurs combatifs s’est mise en mouvement, renouant enfin avec les formes d’action radicales des générations passées. Un signe que tout reste possible dans les mois à venir.

Régis Louail