Publié le Lundi 6 juillet 2015 à 07h05.

Radio France : Etrange capitulation

Journaliste reconnue, salariée de Radio France, l’auteure a été députée européenne entre 1994 et 1999, élue sur la liste du PCF. En 2001, elle a figuré sur la liste de la LCR aux élections municipales à Toulouse. Elle livre à travers ce texte son bilan de la fin de grève.

Capituler est un terme du champ militaire qui signifie « accepter les clauses », se rendre, abandonner sa position, céder. Son contraire c’est résister, tenir.

Pourquoi ai-je choisi un terme militaire pour nommer la levée des préavis par les syndicats alors que l’AG était plus nombreuse que jamais et son vote pour la poursuite du mouvement aussi clair que les autres jours de cette longue grève ?

Parce qu’il s’agit d’une guerre. Une guerre contre les ennemis du service public. Une guerre contre les adorateurs des lois du marché et de la mise en concurrence des salariés entre eux.

Une guerre pour maintenir nos missions de service public. Guerre pour maintenir nos métiers et leur évolution dans le sens du progrès et de l’innovation. Une guerre pour maintenir l’emploi c’est-à-dire assumer tous les métiers à l’intérieur de Radio France dans des conditions d’exercice dignes.

Nous nous battons pour que les gestionnaires ne soient plus les liquidateurs de ce que nous avons construit, que nous faisons vivre chaque jour, que nous faisons progresser en cherchant, en innovant. 

« Capitulation », car les capitulations ne sont jamais le fait des peuples mais de ceux qui les gouvernent. Les capitulations sont celles des généraux, des Etats. 

Une auditrice fidèle et solidaire a chanté La Commune  dans la cour de Radio France lors du pot improvisé par des salariés en lutte le soir de la capitulation. Outre ce moment réconfortant où après les larmes et les cris on se « recourage », quelle pertinence que d’évoquer La Commune ! La révolution du peuple par le peuple contre la capitulation de l’Etat ! La Commune, la révocation de toutes les institutions accaparées par des hommes (aujourd’hui hommes et femmes) plus soucieux de leur pouvoir, petit ou grand, que du bien commun ! 

La Commune est morte debout, assassinée par les canons complices des Versaillais et des caciques des institutions et des lieux du pouvoir soi-disant «  partagé », mais qui ne sont en fait que les  lieux des petits arrangements entre amis ou entre amis et adversaires. Le « compromis social », dit-on aujourd’hui je crois. Nous devrions d’ailleurs porter plainte contre le détournement des mots. « Plan social », « dialogue social », « partenaires sociaux », « plan de sauvegarde de l’emploi »... 

Même si certains n’aiment pas les références politiques, j’oserai dire que notre grève était aussi une lutte de classe et qu’elle a traversé les 27 jours de la lutte et particulièrement le dernier ! Ne pas comprendre cela, c’est se désespérer devant l’absurdité de décisions aux justifications incompréhensibles. 

Le comprendre, c’est puiser de la force dans la longue histoire du mouvement ouvrier qui nous dépasse mais nous « oblige » ! Déchirement des êtres au cœur des institutions qui les broient. Lutte des classes importée de la rue au sein même des corps et des consciences. Jaurès pourrait avec plus de pertinence encore dire « Les chaînes étaient au cœur » !

Mais si les appareils et leurs élus, « le syndicalisme attablé » enchaînent leur pouvoir et leur mission de militer (mais aussi réflexion, pédagogie, éducation populaire, organisation des luttes au service des salariés qui les ont élus et  de leurs adhérents) au calendrier et à l’ordre du jour des patrons et des instances, qu’ils ne s’étonnent pas de la violence qu’ils déchaînent en retour. 

Les instances (CE, CCE, CA, CHSCT ou CCE Européen), si elles furent des acquis des luttes en leur temps, se sont petit à petit vidées de  leurs pouvoirs pour ne devenir que des lieux d’information et de consultation pour avis. Seul le CHSCT conserve encore quelques pouvoirs qui peuvent déboucher sur des mesures concrètes.

Mais là encore, il faut une entente de tous les syndicats ou en tous les cas de la majorité. Cet impératif  majoritaire fait souvent sacrifier d’autres luttes pour protéger la sacro-sainte intersyndicale ! 

Ce qui est troublant dans cette grève de 28 jours c’est qu’elle n’a débouché sur aucune négociation sur les préavis ni sur les modalités de fin de grève. C’est un peu comme si l’arrivée du médiateur avait effacé le conflit, remonté le temps pour effacer les préavis et les motions des AG. En cela c’est vraiment une première ! Un laboratoire des futures « relations sociales » de la France de Macron, Valls  et Hollande ?

Comment comprendre qu’une médiation ne donne aucun gage concret pour l’arrêt du conflit ? 

Comment appeler autrement que « capitulation » ce « donnant-perdant » ? Pas la moindre concession  à nos revendications ! Et une semaine après la capitulation, rien d’effectif de ce qui ne fut pourtant que de simples « préconisations » avec l’assurance du médiateur de « veiller » à ce qu’elles soient suivies d’effet !

Et les syndicats qui obéissent à la méthode et à l’agenda du médiateur, en sachant que leur seul pouvoir sera celui d’écouter, de proposer mais jamais de négocier ! Même leur volonté affichée (bien réelle pour certains ?) de poursuivre en intersyndicale n’a pas été entendue. Quelle perte de temps, d’énergie et de force que cette mascarade de dialogue qui anéantit les vrais pouvoirs (mais très limités pourtant) de négociation encore possibles ! 

Mais ce que les généraux oublient un peu trop vite c’est que leur capitulation n’obère pas la colère des peuples ni leur dignité, encore moins leur détermination à poursuivre leur combat pour la justice et leur liberté. Que cela s’appelle « résistance », insurrection, commune, coordination, autogestion où révolution, l’histoire s’écrit avec le peuple « lentement, en bas, à gauche »1.

Et n’oublions pas que leur capitulation n’est pas notre humiliation mais leur honte, et que nous devons garder l’esprit et l’imaginaire libres, et le cœur joyeux !

Aline Pailler

  • 1. Mot d’ordre de la révolution zapatiste du 1er janvier 1994 au Chiapas (Mexique).