Publié le Vendredi 12 janvier 2018 à 15h48.

#MeToo : le temps de la réaction

Il y a quelques jours paraissait dans Le Monde une tribune défendant « le droit à la liberté d’importuner indispensable à la liberté sexuelle » (une seconde tribune initiée par Caroline de Haas et signée par une trentaine de militantes féministes répond à cette tribune antiféministe 1

  • 1. https://www.francetvinfo…]). Depuis quelques jours, nous vivons un festival de commentaires sexistes et réactionnaires de la part des signataires, Catherine Millet en tête.

    Ce qui choque dans cette tribune ce n’est pas de savoir que des personnes pensent que le mouvement MeToo serait dangereux. Ce n’est pas nouveau. D’ailleurs, lors de ses annonces du 25 novembre Macron avait aussi parlé de « délation ». Il faut rappeler à toute fin utile que le mot « délation » a un sens politique et historique. CertainEs, à l’instar d’Éric Zemmour, sont même allés jusqu’à comparer #balancetonporc à « balance ton juif »…

    Il n’est évidemment pas possible d’assimiler à de la « délation », qui a toujours comme but sous le capitalisme de dénoncer celles et ceux qui mettraient en péril le système, comme dans le cas extrême des personnes juives dans les années 1930-1940 (donc les personnes opprimées par le pouvoir fasciste), le fait que des personnes opprimées (les femmes) dénonce les personnes qui les oppriment (les hommes).

    Ce qui a choqué avec cette tribune, c’est que ce soit plus de 100 femmes, dont des artistes et des intellectuelles, qui se mettent du côté des dominants, des hommes agresseurs, du système patriarcal.

    Ces femmes défendent un camp social

    La preuve que les femmes ne sont pas toutes féministes, mais surtout la preuve que dans le groupe social composé par les femme,s certaines pensent avoir intérêt à conserver ce système politique. Car nous ne pouvons ignorer qui sont ces femmes : elles sont pour la grande majorité des petites-bourgeoises blanches dont beaucoup se trouvent dans les sphères de pouvoir médiatique et intellectuelle. Nous ne pouvons pas ignorer non plus qu’elles nous demandent de choisir une forme de patriarcat plutôt qu’une autre. C’est en ce sens qu’il faut comprendre cette phrase : « Cette fièvre à envoyer les "porcs" à l’abattoir, loin d’aider les femmes à s’autonomiser, sert en réalité les intérêts des ennemis de la liberté sexuelle, des extrémistes religieux ».

    Au-delà de la classe à laquelle elles appartiennent, il s’agit aussi de comprendre la politique qu’elles défendent :  certaines défendent la réaction depuis de nombreuses années. Ce n’est pas une question ponctuelle. Il n’est donc pas étonnant de voir dans cette tribune des signataires d’extrême droite comme Élisabeth Lévy.

    La défense de l’hétéronormativité

    Il y a une confusion notoire dans la tribune, mais qui est une confusion qu’on a beaucoup entendu dans tous les groupes sociaux, y compris parmi les gens qui sont parfois proches de nos idées : les hommes auraient peur de draguer, il faudrait faire attention à ne pas les brimer. C’est sur cette défense, la défense de la drague, de l’amour, de la liberté sexuelle, que se construirait cette tribune. Mais contrairement à ce qu’avance ce texte, il n’y a rien de sauvage dans les relations sexuelles/amoureuses/affectives : les sociétés humaines sont construites. D’ailleurs les « pulsions animales » n’ont jamais l’air de concerner les femmes… Cette défense de la liberté sexuelle contre une morale victorienne, est en fait une défense de l’hétéronormativité et de ses rapports de domination. C’est la défense de l’injonction à l’hétérosexualité. C’est postuler le droits pour les hommes à poser sa main sur les genoux d’une femme. Est-ce que MeToo présente un risque pour la liberté des hommes hétérosexuels de harceler, d’agresser, de violenter, de violer les femmes ? S’agit-il de brimer les hommes qui veulent nous forcer à rentrer dans des relations sexualisées dont nous ne voulons pas ? Oui, cent fois oui. Et nous l’assumons.

    La liberté des dominants

    Au fond, c’est toujours la même rhétorique : il faut défendre la liberté d’importuner des dominants, de caricaturer les dominéEs, de blaguer contre celles et ceux qui subissent l’oppression. La soi-disant censure est un mythe. La grande majorité des films, des écrits, de la production culturelle est un vecteur de l’idéologie dominante, de l’idéologie de classe, patriarcale et raciste. Dans cette rhétorique, il s’agit toujours de défendre les dominants, mais jamais celles et ceux qui subissent. Nous assumons de défendre les dominéEs, les oppriméEs, les exploitéEs, celles et ceux qui n’ont pas leur place dans les livres d’histoire, celles et ceux qui sont invisibles, celles et ceux dont on n’écoute pas la voix. Nous assumons de vouloir créer un rapport de forces pour changer de système. À celles et ceux qui ont peur, vous avez raison d’avoir peur. Nous défendons la liberté d’importuner. D’importuner les dominants, d’importuner le patriarcat, d’importuner, la classe bourgeoise. Et même de renverser ce système pour créer une société émancipée et où chacunE pourra s’épanouir.

    Mim Effe