En décembre 1995, il y a vingt ans, les salariés du secteur public, par une grève massive soutenue par l’ensemble des travailleurs, infligeaient un camouflet cinglant au gouvernement Juppé. Signe des temps, la victoire remportée par les grévistes l’était dans le cadre d’une lutte défensive et elle n’était que partielle. Le volet Sécu du plan Juppé fut appliqué mais le gouvernement dut remballer son plan contre les retraites des fonctionnaires et les régimes spéciaux, qui fut imposé des années plus tard, après la défaite des mouvements grévistes dans l’Education en 2003, à la SNCF et à la RATP en 2007.
Tout semblait pourtant contre les travailleurs. A l’Assemblée nationale, la coalition gouvernementale de droite RPR-UDF disposait de 492 députés sur 577. Le FN, lui, avait recueilli 12 % des voix aux législatives de 1993 et 15 % à la présidentielle de mai 95. En 1993, Balladur avait pu faire passer l’allongement de la durée de cotisation des travailleurs du privé à 40 ans sans la moindre réaction des directions syndicales, déjà engluées dans les discussions initiées par le gouvernement de gauche précédent autour du Livre blanc sur les retraites de Rocard.
1981-1995 Mitterrand à l’offensive contre le monde du travail
C’est que le mouvement de 95 venait en conclusion de quinze années de politiques anti-ouvrières menées par les gouvernements – de gauche ou de cohabitation – mis en place par Mitterrand alors qu’il était président de la République. Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, l’offensive des multinationales et des Etats à leur service pour rétablir le taux de profit s’était faite sous la direction de Reagan et Thatcher. En France, c’est Mitterrand et le PS qui en furent les maîtres d’œuvre, épaulés directement par le PCF jusqu’en 1984, puis de façon plus distante après le départ de celui-ci du gouvernement.
Dans les milieux militants et ouvriers, la démoralisation provoquée par la politique de l’Union de la gauche fut terrible. Elle laissa le champ libre à l’influence de l’extrême droite devenue, de groupusculaire qu’elle était, une véritable force électorale.
L’effondrement de l’URSS, la chute du Mur de Berlin et des dictatures staliniennes dans les pays de l’Est donnèrent lieu, en France comme partout, à une violente campagne anticommuniste qui visait à promouvoir le capitalisme comme horizon indépassable et à enterrer la lutte de classe et tout espoir de transformation de la société. Au nom d’un « nouvel ordre mondial », furent menées les guerres et interventions impérialistes, en Irak en 1991 contre le « nouvel Hitler », en Somalie en 1992, au Rwanda en 1994. Mais rapidement, il apparut que le capitalisme n’offrait rien de « l’avenir radieux » que ses chantres promettaient aux peuples et aux travailleurs.
1995, une étape charnière, des possibilités nouvelles
En même temps, l’effondrement du stalinisme qui étouffait toute vie démocratique dans le mouvement ouvrier libérait de nouvelles possibilités tandis que s’opérait, dans une fraction du monde du travail et de la jeunesse, une rupture avec les vieux partis réformiste, PS et PCF.
Un profond mécontentement s’était accumulé pendant toutes ces années. Le retour de la droite au pouvoir, avec l’élection à la présidence de Chirac et la formation du gouvernement Juppé, libéra nombre de militants de la paralysie des années précédentes.
Le gouvernement Juppé, de son côté, sommé d’agir par les marchés financiers, se fit fort d’imposer un ensemble d’attaques frontales qui heurtaient en outre les intérêts des syndicats gestionnaires des caisses de sécurité sociale. Les cheminots lancèrent la grève et l’étendirent à toutes les entreprises du secteur public avec l’aval des directions syndicales, à l’exception notable de la CFDT.
Pendant plusieurs semaines, des manifestations record aux cris de « Tous ensemble ! » virent se mélanger les militants de tous les syndicats et de toutes les catégories professionnelles. Les discussions en assemblées générales, les coordinations locales firent revivre la démocratie ouvrière, redonnèrent leur sens à la lutte collective. C’est ce qui assura la victoire du mouvement malgré l’absence de politique des directions syndicales.
C’est ainsi que novembre-décembre 1995 fut à la fois la conclusion d’une période marquée par la première phase de la mondialisation capitaliste et le déclin du mouvement ouvrier traditionnel, ainsi que l’ouverture d’une nouvelle période marquée par une remontée des luttes sociales.
Galia Trépère