« Le calme relatif de jadis, la vie d’abondance, ne reviendront plus (...) Soit l’Europe donne la priorité à la qualité de la vie et à des Etats-providence coûteux, que le protectionnisme protège du reste du monde ; soit elle opte pour une économie ouverte où l’industrie, comme ailleurs, peut produire à des coûts moindres et avec des temps de travail allongés » (déclaration du directeur de Philips en 1993).
Après l’effondrement de l’URSS et la fin de la guerre froide, le mythe d’une histoire se faisant dans l’union et la paix n’a pas mis beaucoup de temps à prendre l’eau.
Les années 1980 ont été celles de l’offensive conservatrice néolibérale, avec Reagan et Thatcher. Celle-ci prit toute son ampleur après la chute du Mur, en faisant tomber toutes les barrières mises en place à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale en faveur des classes populaires. La mise en concurrence de tous contre tous, le blocage des salaires, la baisse de leur part dans le revenu national, le processus de nivellement par le bas des conditions d’existence devinrent des évidences. Au niveau européen, la monnaie commune était en marche, et le démantèlement des Etats-providence se généralisait : il y avait déjà plus de de 20 millions de chômeurs et 50 millions de pauvres.
Le processus de restauration capitaliste, de la Hongrie à l’ex-URSS en passant par l’ex-Yougoslavie, imposait à ces pays les critères et les rapports sociaux du libre-échange, les engageant dans le sous-développement et la fragmentation. Le marché du capital s’empara des sphères productives les plus rentables. En Allemagne de l’Est, l’absorption dans le cadre capitaliste fut complète. L’agence de privatisation créée en 1990 ferma ses portes en 1994, après avoir bradé les entreprises. Il en a coûté des millions de chômeurs.
L’impérialisme américain devint le seul maître du monde, avec l’ONU pour légitimer politiquement ses interventions militaires. Le premier moment de ce tournant fut la guerre du Golfe en 1990, suivie de celle en Somalie en 1992. Ces guerres, comme celle de Yougoslavie ou le génocide rwandais face auquel les Etats impérialistes n’intervinrent pas, du moins de manière officielle, mettaient à mal l’idée d’un avenir radieux sous le capitalisme triomphant.
La chute du mur de Berlin a aussi marqué une défaite historique du stalinisme, plongeant les partis communistes dans une crise durable. Ils s’émiettèrent dans divers parcours vers la social-démocratie avec des résultats très limités, le contexte ne permettant pas la réussite d’une telle mutation. Dans la social-démocratie, la pression néolibérale l’emportait. Tony Blair, partisan de l’orthodoxie néolibérale, était élu président du Labour.
Dans plusieurs pays européens, comme en France ou en Belgique, l’extrême droite sortit de sa marginalité électorale... En Italie, ce fut le succès en 1994 de la Ligue du Nord et de Forza Italia de Berlusconi.
En même temps quelques lueurs d’espoir apparaissaient.
En Afrique du Sud, 1994 fut l’année de la victoire de l’ANC. C’était la fin de l’apartheid. Mais malgré quelques mesures ponctuelles pour les plus pauvres, comme la distribution de nourriture dans les écoles ou les soins gratuits pour les femmes enceintes et les enfants de moins de six ans, s’installa un gouvernement d’unité nationale pour lequel les revendications populaires, essentielles pour les masses noires opprimées, n’étaient pas prioritaires.
Au Mexique, dans l’Etat du Chiapas, pour « le travail, la terre, le droit à un toit, à l’alimentation, à la santé et l’éducation, à l’indépendance, la démocratie, la justice et la paix », les indigènes et paysans regroupés dans l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) s’engageaient le 1er janvier 1994 dans la lutte armée, prenant le contrôle de quatre villes principales avant d’occuper 38 municipalités. Immédiatement, une offensive policière et militaire était déclenchée contre l’EZLN, avec l’entrée de troupes et des bombardements.
Mais les forces d’émancipation, malgré quelques avancées, malgré les débats comme ceux du Forum de Sao Paulo en mai 1995, n’étaient pas en mesure de représenter une alternative de quelque crédibilité à cette offensive capitaliste, à ce modèle néolibéral.
Patrick Le Moal