Publié le Dimanche 24 novembre 2013 à 11h08.

ÇatalHöyük – Ville de l’égalité

Entre 7000 et 6000 avant notre ère s’est développée à ÇatalHöyük, cité du centre de l’Anatolie, une société égalitaire qui suscite de la part des chercheurs un intérêt soutenu. Les fouilles archéologiques qui se poursuivent sur son site livrent une surprise après l’autre…

Pendant 1000 ans, jusqu’à 8000 personnes y vécurent ensemble, sans modifications notables de la civilisation, sans conflits militaires et sans troubles intérieurs. ÇatalHöyük était de loin la cité la plus importante de son époque. Les nombreuses représentations figuratives et peintures murales que l’on trouve dans chaque maison, la mise au jour fréquente au cours des fouilles archéologiques d’instruments de musique et de restes de grandes fêtes qui se tenaient sur les toits en terrasse de la ville, ainsi que les témoignages de l’attention accordée à la préservation de la mémoire  historique à une époque où l’écriture n’existait pas, tout cela témoigne d’une culture florissante et impressionnante. 

 

Des rapports sociaux égalitaires

Ce qui est particulièrement important pour qui veut révolutionner la société, et même pour toutes les personnes qui se battent pour la justice et la liberté, c’est que cette civilisation a été portée par une société égalitaire, une société dans laquelle l’égalité de chaque être humain dans tous les aspects de la vie avait été réalisée. Et que ces relations égalitaires ne se sont pas développées spontanément, mais sont sorties d’une société de classe patriarcale qui a été dépassée au cours d’une révolution sociale, en 7200 avant notre ère.

La cité de ÇatalHöyük ne se composait que de maisons d’habitation et d’espaces vides qui servaient de dépôts d’ordures. Les maisons d’habitation étaient construites de façon très dense, murs contre murs, sans rues ni espaces intermédiaires, et la cité s’échelonnait en terrasses sur la colline. Ainsi, on ne pouvait circuler à travers la cité que par les toits des maisons, au moyen d’échelles, et l’entrée dans les maisons ne pouvait s’opérer qu’à l’aide d’échelles depuis le toit. Il n’y avait pas de bâtiments particuliers inhabités, tels des temples ou des salles de réunion, et les fonctions sociales comme la tenue des archives ou les « écoles » étaient prises en charge par des ménages dans des maisons d’habitation normales.

Les traces d’usure sur les squelettes des individus en âge de travailler montrent que le travail physique pénible indispensable était réparti de façon égalitaire. Les mêmes matières premières et déchets dans chaque maison, les mêmes marques de travail sur tous les squelettes, tout cela établit bien que l’économie ne reposait pas sur la division du travail.

L’abolition de la division du travail à ÇatalHöyük s’étendait également à la division du travail entre les sexes : dans la sphère de la cuisine, hommes et femmes travaillaient de la même façon, aussi bien à la préparation de la nourriture qu’à la production d’outils. Des peintures murales montrent des hommes s’occupant d’enfants. On a pu également établir qu’hommes et femmes passaient le même  temps à la maison. En outre, l’analyse de la composition des os humains a montré  que l’alimentation était d’une valeur nutritive  régulière, à la fois copieuse et variée. Rien n’indique qu’il aurait pu y avoir la  moindre différence dans le bien-être ou le mode de vie, ni entre les individus, ni entre les sexes.

Une société sans violence

Cette remarquable égalité a amené une forme solidaire de vie collective. Dès les premières fouilles dans les années 1960, il avait été remarqué que pas un seul squelette ne portait de traces de mort violente : un constat qui est resté valable jusqu’à aujourd’hui. Dans l’art de ÇatalHöyük, on ne trouve pas la moindre représentation d’actes agressifs comme des combats ou des guerres. Lorsqu’il a été établi, en 2007, que les blessures cicatrisées ne pouvaient être imputées à de la violence interpersonnelle, mais à des accidents (surtout des chutes d’échelle), le directeur des fouilles tira ce bilan: «  A ÇatalHöyük, les hommes menaient une vie sans violence ». Et en 2005, il a été prouvé que personne n’était      jamais mort de faim à ÇatalHöyük. Quelle honte pour l’époque et la société dans lesquelles il nous faut  vivre !

On sait maintenant également ce qu’il en était de la situation écologique. Il n’y a aucun signe de déforestation, d’érosion ou de perte de surfaces cultivables. Toutes les ressources qui étaient utilisées lors de l’établissement de la cité en - 7000 étaient toujours disponibles mille ans plus tard. On s’accorde à considérer que l’organisation égalitaire de la société constitue la cause de cette utilisation raisonnable des ressources, car le contrôle de la communauté sur l’ensemble des ressources permettait d’identifier des dégradations prématurées ou des phénomènes d’instabilité et ainsi de ménager de façon ciblée le biotope menacé.

En prenant en considération toutes ces particularités, il n’est donc plus surprenant que l’espérance de vie ait été étonnamment élevée (les squelettes d’individus entre 60 et 80 ans ne sont pas rares) et que l’état de santé général ait été de bonne qualité.

 

Une organisation politique originale

Au cours des cinq dernières années, l’équipe internationale de recherche est également parvenue à commencer à comprendre l’organisation politique de la cité. Chaque maison était partie prenante d’au moins plusieurs réseaux qui se recoupaient uniquement dans cette maison.

Ainsi il y avait un réseau radial des ménages, donc de maisons accolées le long d’une ligne allant du centre de la cité jusqu’à son bord extrême. Il y avait aussi un lien organisationnel entre toutes les maisons construites en cercle autour du centre de la colline sur le même niveau de terrasses. Du fait de ces deux modes de structuration, il fallait que le centre de la colline ne soit pas bâti. A cet endroit, les archéologues ont trouvé une vaste décharge. Et là encore, un réseau particulier raccordait toutes les maisons qui étaient construites autour d’une décharge. Leur traitement strictement réglementé, en particulier leur désinfection régulière avec des cendres et de la chaux, avait des effets directs sur l’état de santé de la population. Des peintures murales quasiment identiques dans des maisons largement éloignées les unes des autres, de même que des découvertes qui n’ont pas été rendues publiques, semblent indiquer l’existence d’autres réseaux, dont on ne comprend pas encore la fonction. Mais on est déjà certain que chaque élément du corps social relevait de différents modes d’appartenance et de regroupement, qui empêchaient l’apparition d’un pouvoir central.

En 6000 avant notre ère, les hommes quittèrent leur cité et s’éparpillèrent dans quinze villages de la plaine. Ils y vécurent pendant encore 700 ans, fortement liés économiquement les uns aux autres, sans guerre, sans conflits et sur un mode égalitaire. Lorsqu’à la suite d’un changement climatique, la plaine se dessécha, ils furent contraints de devenir des bergers nomades, dont la trace s’est perdue dans les brumes de l’histoire.

Ce que nous venons de décrire confirme une fois de plus que ce n’est pas le niveau technique, mais bien les rapports sociaux qui sont décisifs pour déterminer la qualité de vie et la forme sociale. ÇatalHöyük ne nous montre pas seulement qu’il est possible d’aller au-delà d’une société de classe, mais qu’il est également possible de construire ensuite une société débarrassée de l’exploitation, de la violence et de la domination. C’est ainsi que le niveau de vie le plus élevé atteint à cette époque a pu devenir une réalité, et pour tout le monde. 

Alors, imaginons ce que nous pourrions réaliser aujourd’hui, avec le niveau atteint par la  technique, si nous avions enfin des rapports sociaux rationnels ! 

  

Bernhard Brosius

Traduit de l’allemand par Pierre Vandevoorde et Henri Clément. Les intertitres sont de la rédaction. Plus de renseignements sur http://www.catalhoyuk.com et www.urkommunismus.de (pages en allemand et en anglais).